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Date de la décision : |
Le 16 novembre 2023 |
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Référence : |
BGIS Solutions Globales Intégrées Canada S.E.C. c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2023 TPEC 11 |
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Numéros des dossiers du TPEC : |
0009-2019 et 0010-2019 |
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Intitulé : |
BGIS Solutions Globales Intégrées Canada S.E.C. c. Canada (Environnement et Changement climatique) |
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Demanderesse : |
BGIS Solutions Globales Intégrées Canada S.E.C. |
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Défendeur : |
Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada |
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Objet de la procédure : Révision, au titre de l’article 15 de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, LC 2009, c 14, art 126, de pénalités administratives infligées en vertu de l’article 7 de cette loi relativement à des violations de l’alinéa 3a) du Règlement fédéral sur les halocarbures (2003), DORS/2003-289, pris en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), LC 1999, c 33. |
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Date de l’audience : Le 21 juillet 2023 (par vidéoconférence) |
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Comparutions : |
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Parties |
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Avocats |
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BGIS Solutions Globales Intégrées Canada S.E.C. |
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Mark Youden |
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Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada
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Sahar Mir |
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DÉCISION RENDUE PAR : |
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PAMELA LARGE MORAN |
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Introduction
[1] Deux procès-verbaux, dont les numéros sont 8400-0276 et 8400-0302, (les « PV ») ont été émisà la demanderesse, BGIS Solutions Globales Intégrées Canada LP (la « demanderesse » ou « BGIS »), le 11 juillet 2019 au titre de l’article 7 et du paragraphe 10(1) de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement (la « LPAME ») relativement à la violation de l’alinéa 3a) du Règlement fédéral sur les halocarbures (2003), DORS/2003-289 (le « RFH »).
[2] La demanderesse nie avoir rejeté un halocarbure — ou en avoir permis ou causé le rejet — en violation de l’alinéa 3a) du RFH et demande la révision des deux PV.
Le contexte
[3] Selon l’exposé conjoint des faits des parties, les deux refroidisseurs à partir desquels les halocarbures ont été rejetés se trouvaient dans deux édifices situés à Winnipeg, au Manitoba : (i) l’édifice de la Commission canadienne des grains, 303, rue Main (l’« édifice de la CCG ») et (ii) l’édifice de l’Agence du revenu du Canada, 66, chemin Stapon (l’« édifice de l’ARC ») (collectivement, les « installations »).
[4] Les installations appartiennent à la Couronne et sont administrées par l’intermédiaire de Services publics et Approvisionnement Canada (« SPAC »). BGIS, une société de services de gestion immobilière, a passé un contrat avec SPAC pour la prestation de services de gestion immobilière liés aux installations. Ces services comprenaient l’exploitation des installations, la gestion de l’entretien, les réparations et le remplacement de systèmes et de composants dansles édifices.
[5] Southampton-Trane Air Conditioning (Calgary) Inc., ou sa filiale, (« Trane ») fabrique des appareils de climatisation et fournit des services d’entretien de tels appareils. BGIS a passé un contrat avec Trane pour la maintenance et l’entretien de certains appareils se trouvant dans les installations.
[6] Le 5 novembre 2018, une fuite d’halocarbures provenant du refroidisseur se trouvant dans l’édifice de la CCG (le « refroidisseur de l’édifice de la CCG ») a été détectée. En raison de cette fuite (la « fuite survenue dans l’édifice de la CCG »), 108 kg d’halocarbures ont été rejetés avant que le refroidisseur soit recouvert et isolé le même jour. La réparation a finalement été effectuée le 1er février 2019.
[7] BGIS a signalé verbalement la fuite survenue dans l’édifice de la CCG au ministre de l’Environnement et du Changement climatique (le « ministre ») le jour même de la fuite. Un rapport écrit a été fourni le 12 février 2019.
[8] Le 24 avril 2019, une fuite d’halocarbures provenant du refroidisseur se trouvant dans l’édifice de l’ARC (le « refroidisseur de l’édifice de l’ARC ») a été détectée. En raison de cette fuite (la « fuite survenue dans l’édifice de l’ARC »), 136 kg d’halocarbures ont été rejetés.
[9] La fuite survenue dans l’édifice de l’ARC a été signalée verbalement au ministre le 2 mai 2019. Un rapport écrit a été fourni le 13 mai 2019.
Les questions en litige
[10] Les parties ont formulé conjointement les questions que soulève la présente affaire de la façon suivante :
i. BGIS a-t-elle rejeté un halocarbure — ou permis ou causé le rejet d’un halocarbure — contenu (i) dans le refroidisseur de l’édifice de la CCG et (ii) dans le refroidisseur de l’édifice de l’ARC (tels qu’ils sont définis dans l’exposé conjoint des faits des parties), en violation de l’alinéa 3a) du Règlement fédéral sur les halocarbures (2003), DORS/2003-289?
ii. Les fuites survenues dans l’édifice de la CCG et dans l’édifice de l’ARC (telles qu’elles sont définies dans l’exposé conjoint des faits des parties) étaient-elles impossibles à prévenir et, par conséquent, justifiées ou excusées au titre du paragraphe 11(2) de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, LC 2009, c 14, art 126 (la « LPAME »)?
iii. Le régime de responsabilité absolue créé par le paragraphe 11(1) de la LPAME est-il inconstitutionnel ou autrement contraire aux principes de justice naturelle?
[11] La demanderesse soutient ce qui suit :
i. Elle n’a pas contrevenu à l’alinéa 3a) du RFH parce qu’elle n’avait pas le contrôle continu des refroidisseurs de l’édifice de la CCG et de l’édifice de l’ARC et n’a donc pas rejeté un halocarbure — ou permis ou causé le rejet d’un halocarbure — en violation de l’alinéa 3a) du RFH.
ii. Les fuites étaient impossibles à prévenir et donc justifiées ou excusées selon le paragraphe 11(2) de la LPAME.
iii. Le régime de responsabilité absolue créé par l’alinéa 11(1)a) de la LPAME est inconstitutionnel ou autrement contraire aux principes de justice naturelle.
[12] Le défendeur, Environnement et Changement climatique Canada (« ECCC » ou le « défendeur ») soutient ce qui suit :
i. La demanderesse a contrevenu au RFH, car elle avait le contrôle continu des refroidisseurs de l’édifice de la CCG et de l’édifice de l’ARC, et elle a donc rejeté un halocarbure – ou permis ou causé le rejet d’un halocarbure.
ii. Le fait d’avoir pris les mesures nécessaires pour empêcher la violation ne peut être invoqué sous le régime de la LPAME. En outre, la demanderesse n’a pas établi que les fuites avaient été impossibles à prévenir. La demanderesse n’a pas prévenu les fuites alors qu’elle en avait la capacité.
iii. Les violations visées à l’article 7 de la LPAME ne sont pas considérées comme des infractions criminelles, alors l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») ne s’applique pas en l’espèce. Par ailleurs, la LPAME ne contrevient pas aux principes de la justice naturelle.
Les lois et les règlements pertinents
[13] Il est utile de reproduire le libellé de l’article 3 du RFH :
3 Il est interdit de rejeter un halocarbure — ou d’en permettre ou d’en causer le rejet — contenu, selon le cas : a) dans un système de réfrigération ou de climatisation, ou dans tout contenant ou dispositif complémentaire, sauf si le rejet se fait à partir d’un système à vidange qui émet moins de 0,1 kg d’halocarbure par kilogramme d’air vidangé dans l’environnement; b) dans un système d’extinction d’incendie ou dans tout contenant ou dispositif complémentaire, sauf pour lutter contre un incendie qui n’est pas allumé à des fins de formation ou si le rejet a lieu durant la récupération des halocarbures aux termes de l’article 7; c) dans un contenant ou du matériel servant à la réutilisation, au recyclage, à la régénération ou à l’entreposage d’un halocarbure. |
3 No person shall release, or allow or cause the release of, a halocarbon that is contained in (a) a refrigeration system or an air-conditioning system, or any associated container or device, unless the release results from a purge system that emits less than 0.1 kg of halocarbons per kilogram of air purged to the environment; (b) a fire-extinguishing system or any associated container or device, except to fight a fire that is not set for training purposes, or unless the release occurs during the recovery of halocarbons under section 7; or (c) a container or equipment used in the reuse, recycling, reclamation or storage of a halocarbon. |
La première question : BGIS a-t-elle rejeté un halocarbure — ou permis ou causé le rejet d’un halocarbure — contenu (i) dans le refroidisseur de l’édifice de la CCG et (ii) dans le refroidisseur de l’édifice de l’ARC (tels qu’ils sont définis dans l’exposé conjoint des faits des parties), en violation de l’alinéa 3a) du Règlement fédéral sur les halocarbures (2003), DORS/2003-289?
Les observations de la demanderesse
[14] BGIS affirme que ECCC a le fardeau d’établir qu’elle a rejeté un halocarbure ou permis ou causé le rejet d’un halocarbure dans l’une ou l’autre des installations, et que la question est de savoir si elle a [traduction] « permis que le rejet » survienne.
[15] BGIS soutient que, comme l’infraction à l’alinéa 3a) est une infraction de responsabilité absolue, pour permettre le rejet, elle devait i) avoir le contrôle continu du système à partir duquel le rejet s’est produit et ii) avoir anticipéle rejet.
[16] BGIS s’appuie sur des dispositions des contrats passés entre elle et SPAC et entre elle et Trane pour soutenir qu’en pratique, la relation entre les parties était telle que SPAC exerçait une autorité et un contrôle absolus sur tout le travail effectué sur les refroidisseurs, et que Trane a effectué tout le travail pertinent et fourni tous les renseignements sur la maintenance, l’entretien et l’exploitation des refroidisseurs.
[17] BGIS affirme donc que toute mesure prise relativement aux refroidisseurs devait être approuvée par SPAC et que le pouvoir décisionnel définitif en ce qui concerne leur maintenance et leur entretien appartenait également à SPAC.
[18] En outre, BGIS a sous-traité un ensemble vaste mais non exhaustif de services de maintenance préventive et prédictive à Trane, ce que SPAC savait et avait approuvé.
[19] Par conséquent, BGIS soutient que la responsabilité et le contrôle nécessaires pour qu’une allégation de violation de l’alinéa 3a) soit fondée appartenaient entièrement à SPAC et à Trane, et non pas à elle.
[20] BGIS soutient en outre qu’elle n’a pas permis les rejets provenant des refroidisseurs, car ces rejets étaient foncièrement imprévisibles et, subsidiairement, qu’il revenait à Trane de les anticipercompte tenu de ses obligations en matière de maintenance et d’entretien, et non pas à elle.
Les observations du défendeur
[21] ECCC, quant à lui, soutient que l’alinéa 3a) a une large portée qui s’étend à toute personne ayant le contrôle continu d’un système lorsqu’une fuite d’halocarbures survient.
[22] ECCC ajoute que l’interprétation du verbe « permettre » vise, en l’espèce, le défaut d’intervention de la demanderesse ou, en d’autres termes, le défaut d’empêcher un événement qu’elle aurait dûanticiper.
[23] ECCC soutient également que l’obligation d’empêcher une violation incombe à toutes les personnes qui peuvent contrôler ou prévenir les facteurs qui engendrent la violation. Il attire l’attention sur diverses dispositions des contrats entre BGIS, SPAC et Trane et affirme qu’elles démontrent que BGIS était en position de s’assurer que le rendement des refroidisseurs demeure maximal et de prendre des mesures proactives pour s’assurer que l’état des refroidisseurs soit optimal.
[24] ECCC affirme donc que BGIS avait le contrôle continu des refroidisseurs, car elle a conservé l’autorité qui lui permettait de proposer à SPAC des modifications aux procédures d’entretien, telles que des réparations et des inspections supplémentaires. Selon lui, BGIS, en n’exerçant pas son contrôle sur les refroidisseurs qui lui permettait de les inspecter, de les entretenir et de les réparer pour que leur rendement soit optimal conformément au RFH, a permis les deux fuites d’halocarbure en violation de l’alinéa 3a) du RFH.
Analyse et conclusions concernant la première question
[25] Il faut interpréter l’alinéa 3a) à la lumière de son libellé, de son contexte et de ses objectifs pour dégager les éléments constitutifs d’une violation de cette disposition : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653, au paragraphe 120. L’interdiction « de rejeter un halocarbure – ou d’en permettre ou d’en causer le rejet » a une large portée qui concorde avec l’objectif manifeste du législateur, à savoir protéger l’environnement. L’actus reus d’une violation est le fait d’avoir le contrôle continu d’un système décrit aux alinéas a) ou b) ou d’un contenant ou du matériel décrit à l’alinéa c) lorsque survient une fuite d’halocarbures.
[26] La demanderesse et le défendeur ont chacun présenté une jurisprudence qui donne certaines indications sur l’interprétation de la disposition en cause.
[27] Les deux partiesont cité l’arrêt de la Cour suprême R. c. Sault Ste. Marie, [1978] 2 RCS 1299 [Sault Ste. Marie], où il est question de l’interprétation des mots « faire » et « permettre ». Il a été souligné que le verbe « faire » vise la participation active d’un défendeur à quelque chose qu’il est en mesure de contrôler alors que le verbe « permettre » vise le défaut d’intervention d’un défendeur ou, en d’autres termes, son défaut d’empêcher un événement qu’il aurait dûanticiper.
[28] La demanderesse et le défendeur ont également tous deux cité la décision 9340-4234 Québec inc. c. Ville de Mercier, 2021 QCCS 5421, dans laquelle la Cour supérieure du Québec a examiné une disposition relative à une infraction de responsabilité absolue en matière de pollution dont le libellé s’apparentait à celui de la disposition du RFH en cause, car il s’agissait d’une interdiction de « permettre » la pollution. Ce que la Cour a affirmé est pertinent en l’espèce :
[21] Deuxièmement, les mots utilisés dans la disposition réglementaire nous aident également à déterminer quels acteurs sont visés par l’obligation d’empêcher la survenance d’un événement. Selon les auteurs Swaigen et McRory dans Regulatory Offences In Canada, l’utilisation du verbe permettre signifie que la disposition vise à pénaliser un large spectre d’acteurs :
The class of persons who have a duty to avoid or prevent violations will also be determined by the wording of the offence. If the statute makes it an offence to “permit”, “cause”, “concur in”, “participate in” or “acquiesce in” a prohibited act, or imposed a duty to “ensure” that precautions are taken to prevent harm, it may create a duty to prevent the offence in a much broader category of persons than those who actually do the prohibited act.
[22] Par ailleurs, l’infraction prévue à l’article 3.12.1 b) est rédigée en termes très larges et ne vise pas expressément une catégorie d’acteurs donnée. Par conséquent, nous sommes d’avis que l’appelante, à titre de propriétaire, peut engager sa responsabilité pénale en vertu de cette disposition.
[23] Toutefois, cette responsabilité pénale ne sera engagée que sous certaines conditions. En effet, le fait d’être propriétaire ne sera pénalisé que si elle avait un devoir d’agir, puisqu’on ne peut être reconnu coupable d’une omission en l’absence d’un devoir d’agir. Pour ce faire, elle doit avoir le contrôle ou l’autorité sur l’activité en question :
One cannot “permit” something to happen unless one has knowledge that it is happening, but the actus reus consists in not taking steps that are appropriate to the circumstances to prevent it. This could be characterized as a failure to act, though it is difficult to regard this type of conduct as an omission in the classic sense of the word. Permitting something to happen or allowing it to occur, means that the person in question has authority over the situation, and the act in question consists of exercising such authority — albeit in a negative manner.
[références omises]
[24] Ainsi, l’obligation d’empêcher une violation repose sur tous les acteurs qui peuvent contrôler ou prévenir les facteurs qui sous-tendent les activités ayant engendré la violation.
[…]
[29] Le Tribunal estime que, par l’utilisation des termes « permettre que soient déposées de la boue et de la terre sur les voies publiques », le Règlement vise à pénaliser tout acteur qui est en mesure d’exercer un contrôle continu sur une activité qui occasionne un déversement de boue ou de terre, qui est en mesure de le prévenir, mais qui ne le fait pas.
[30] Ainsi, l’appelante à titre de propriétaire du terrain pouvait engager sa responsabilité pénale. Toutefois, pour ce faire, l’intimée devait démontrer que l’appelante était en mesure d’exercer un contrôle sur l’activité qui occasionne le déversement, soit le transport de sols dans le cadre de travaux de restauration de la sablière. Il s’agit d’un des éléments constitutifs de l’actus reus.
[29] Par conséquent, la large portée des dispositions telles que l’article 3 du RFH est quelque peu limitée par la notion de « contrôle continu ». Autrement dit, l’article 3 ne s’applique qu’à certaines personnes qui seraient en mesure de prévenir le tort en question. Par conséquent, d’après la jurisprudence précitée, l’acte [traduction] « volontaire » aux fins de l’article 3 du RFH est le fait d’avoir un « contrôle continu » ou l’« autorité » à l’égard du système à partir duquel la fuite d’halocarbures s’est produite.
[30] La question du « contrôle continu » est donc une question de fait qui, en l’espèce, sera éclaircie par un examen des dispositions des contrats passés entre BGIS et SPAC, et entre BGIS et Trane.
[31] En ce qui concerne cette question, je souscris à l’argument d’ECCC, qui est appuyé par la décision Bell Canada c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2022 TPEC 6 [Bell], où ce Tribunal a conclu que, dans certaines situations, plus d’une personne peut être en mesure de contrôler ou de prévenir ce qui engendre la violation. Il s’ensuit que plusieurs parties peuvent simultanément avoir le « contrôle continu » d’un même système.
[32] Bien que la demanderesse soutienne que la responsabilité et le contrôle nécessaires pour qu’une allégation de violation de l’alinéa 3a) soit fondée appartenaient entièrement à SPAC et à Trane, je conclus, à la lumière de la preuve et, en particulier, des dispositions contractuelles, que ce n’était pas le cas.
Les dispositions contractuelles
[33] La demanderesse soutient qu’en vertu de l’autorisation de travail qui figure dans le contrat entre BGIS et SPAC, toute mesure prise relativement aux refroidisseurs devait être approuvée SPAC et conforme à ses directives, et que l’autorité décisionnelle de haut niveau en ce qui concerne la maintenance et l’entretien des refroidisseurs appartenait également à SPAC.
[34] De même, à propos de son contrat avec Trane, la demanderesse soutient que la maintenance et l’entretien ont été entièrement effectués par Trane. En d’autres termes, la demanderesse a sous-traité la maintenance et l’entretien des refroidisseurs à Trane, qui devait également l’informée de tout travail nécessaire pour prévenir les rejets et d’autres dysfonctionnements des refroidisseurs.
[35] La demanderesse soutient que ces dispositions contractuelles visaient explicitement les services de maintenance préventive et prédictive, y compris les inspections régulières, la production de rapports écrits à son intention, la maintenance préventive en conformité avec les recommandations des fabricants, la vérification de l’intégrité interne des refroidisseurs et les essais d’étanchéité des refroidisseurs.
[36] Le défendeur affirme que le contrat passé entre SPAC et BGIS exigeait notamment que BGIS [traduction] « gère efficacement les risques en veillant notamment à la diligence raisonnable et au respect des lois et de la politique applicables » et qu’elle [traduction] « améliore la durabilité environnementale des locaux du gouvernement […] ».
[37] Selon le défendeur, quatre sections de l’énoncé des travaux du contrat passé entre BGIS et SPAC indiquent que BGIS avait le contrôle continu des refroidisseurs :
[traduction]
i. BGIS est tenue de s’assurer que la gestion et l’exploitation globales des installations et du matériel qui s’y trouvent sont conformes aux lois applicables, et d’aider les dépositaires à se conformer aux lois.
ii. BGIS a l’obligation contractuelle d’assumer en tout temps les responsabilités quotidiennes liées à l’exploitation des installations et des refroidisseurs, ce qui comprend l’exploitation de l’édifice et du système conformément à la plus récente publication des normes de l’industrie et des politiques et lignes directrices gouvernementales appropriées.
iii. BGIS doit fournir des services de maintenance permettant d’améliorer continuellement les activités et la mesure continue du rendement, en tenant compte de l’âge, des caractéristiques de construction, de l’état, de la désignation patrimoniale et conditions d’exposition. En assurant l’entretien des installations, BGIS doit se baser sur les besoins et notamment s’assurer de maintenir l’efficacité des systèmes au maximum, faire preuve de diligence raisonnable, fournir des analyses efficaces, prendre les décisions et planifier les futurs programmes de réparation.
iv. BGIS doit fournir des services de gestion environnementale pour les installations. À cette fin, elle doit offrir du soutien, déterminer les exigences et effectuer le travail permettant d’assurer la conformité à la LCPE et aux autres lois environnementales. De plus, BGIS a le mandat de cerner précisément les possibilités de réduction des gaz à effet de serre, de formuler des recommandations pour atteindre les objectifs fixés à cet égard et de gérer les halocarbures de manière générale.
[38] Le défendeur affirme que BGIS était en position de s’assurer que le rendement des refroidisseurs soit maximal et de prendre des mesures proactives pour s’assurer que l’état des refroidisseurs soit optimal, ce qui pouvait comprendre des inspections supplémentaires et d’autres procédures d’entretien permettant de satisfaire aux exigences du RFH.
[39] En outre, BGIS était sur place, supervisait au quotidien l’exploitation et connaissait parfaitement l’état des refroidisseurs, les composants du matériel qui étaient susceptibles de tomber en panne ou qui nécessitent une surveillance régulière. BGIS avait également l’autorité permettant d’établir des procédures et des processus d’entretien et de réparation pour s’assurer que les refroidisseurs restent en parfait état et en conformité avec le RFH.
[40] Le défendeur fait valoir que toutes ces obligations témoignent de l’autorité et du contrôle essentiels qu’avait BGIS à l’égard de l’entretien et des réparations des refroidisseurs.
[41] En outre, en réponse à l’argument de la demanderesse selon lequel le fait que SPAC approuvait les coûts de réparation et établissait les priorités à cet égard démontre que BGIS n’avait pas un contrôle continu, ECCC fait observer que BGIS conservait le contrôle qui lui permettait de proposer à SPAC des changements aux procédures d’entretien, comme l’ajout d’inspections et de réparations.
[42] Par conséquent, après avoir examiné attentivement les diverses dispositions contractuelles, je suis convaincue par les observations d’ECCC et par la description des obligations qui incombaient à BGIS aux termes des contrats en cause, et je conclus que ces contrats établissent que BGIS avait le contrôle continu des refroidisseurs.
[43] De plus, le contrat entre SPAC et BGIS permettait la sous-traitance de certaines parties du contrat, comme la sous-traitance confiée à Trane, mais il stipulait ce qui suit :
[traduction]
Le consentement donné à la conclusion d’un contrat de sous-traitance ne libère pas l’entrepreneur de ses obligations aux termes du contrat et n’a pas pour effet d’engager la responsabilité du Canada envers un sous-traitant. L’entrepreneur demeure entièrement responsable des affaires ou choses faites ou fournies par tout sous-traitant en vertu du contrat […]
[44] De plus, selon la section [traduction] « Plan d’inspection » du contrat passé entre Trane et BGIS, où sont indiqués les rôles et les responsabilités en matière de production de rapports et de tenue de dossiers, Trane doit produire un rapport écrit sur l’état du matériel et les réparations nécessaires qu’elle recommande à l’intention de BGIS.
[45] Selon la section [traduction] « Plan de maintenance prédictive », qui fait également partie du contrat passé entre Trane et BGIS, celle-ci doit être informée de tout paramètre dynamique ou statique susceptible de causer des problèmes de matériel et, après l’inspection et les essais d’étanchéité annuels, elle doit recevoir un courriel ainsi que les résultats des essais d’étanchéité et les rapports figurant dans les registres tenus sur place.
[46] À la lumière des contrats considérés dans leur ensemble, y compris l’énoncé des travaux du contrat entre SPAC et BGIS examiné plus haut, je conclus donc, selon la prépondérance des probabilités, que BGIS avait le contrôle continu des refroidisseurs.
[47] En ce qui concerne la question de la prévisibilité, la demanderesse soutient que les refroidisseurs sont sujets à des fuites imprévues et que, de ce fait, les rejets d’halocarbures étaient foncièrement imprévisibles.
[48] À mon avis, la demanderesse n’a pas présenté une preuve suffisamment convaincante pour établir que les rejets d’halocarbures étaient imprévisibles et qu’elle avait pris des précautions raisonnables pour les prévenir.
[49] En outre, je ne souscris pas à l’affirmation de la demanderesse selon laquelle il appartenait à Trane et non elle d’anticiper les rejets compte tenu des exigences en matière de maintenance et d’entretien qui étaient imposées à Trane aux termes du contrat passé entre elles. Cette affirmation n’est pas étayée par la preuve contractuelle décrivant les rôles et les responsabilités de Trane en matière de production de rapports et de tenue de dossiers pour BGIS sur, entre autres, l’état du matériel, les réparations nécessaires et les essais d’étanchéité.
[50] Par conséquent, je conclus que BGIS [traduction] « a permis le rejet » des halocarbures en violation du RFH.
La deuxième question : Les fuites survenues dans l’édifice de la CCG et dans l’édifice de l’ARC (telles qu’elles sont définies dans l’exposé conjoint des faits des parties) étaient-elles impossibles à prévenir et, par conséquent, justifiées ou excusées au titre du paragraphe 11(2) de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, LC 2009, c 14, art 126 (la « LPAME »)?
Les observations de la demanderesse
[51] La demanderesse soutient que, bien que le paragraphe 11(1) de la LPAME exclue le recours au moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable, le paragraphe 11(2) de la même loi préserve le recours à d’autres moyens de défense de common law. Je suis d’accord.
Les lois et les règlements applicables
[52] L’article 11 exclut certains moyens de défense, établissant ainsi un régime de responsabilité absolue. Il est utile de reproduire le libellé des paragraphes 11(1) et 11(2) de la LPAME :
11 (1) L’auteur présumé de la violation — dans le cas d’un navire ou d’un bâtiment, son propriétaire, son exploitant, son capitaine ou son mécanicien en chef — ne peut invoquer en défense le fait qu’il a pris les mesures nécessaires pour empêcher la violation ou qu’il croyait raisonnablement et en toute honnêteté à l’existence de faits qui, avérés, l’exonéreraient.
(2) Les règles et principes de la common law qui font d’une circonstance une justification ou une excuse dans le cadre d’une poursuite pour infraction à une loi environnementale s’appliquent à l’égard d’une violation dans la mesure de leur compatibilité avec la présente loi. |
11 (1) A person, ship or vessel named in a notice of violation does not have a defence by reason that the person or, in the case of a ship or vessel, its owner, operator, master or chief engineer
(a) exercised due diligence to prevent the violation; or
(b) (b) reasonably and honestly believed in the existence of facts that, if true, would exonerate the person, ship or vessel.
(2) Every rule and principle of the common law that renders any circumstance a justification or excuse in relation to a charge for an offence under an Environmental Act applies in respect of a violation to the extent that it is not inconsistent with this Act. |
[52] La demanderesse affirme que la défense de common law fondée sur l’impossibilité de se conformer est établie, car les systèmes de refroidissement sont foncièrement sujets à des fuites imprévues, et qu’étant donné l’ampleur et la fréquence des inspections, des réparations et des remplacements nécessaires pour prévenir des événements comme les rejets en cause, la conformité à l’alinéa 3a) ne représente pas une [traduction] « solution raisonnable et légale ».
[53] La demanderesse affirme également que la solution raisonnable et légale dans les circonstances actuelles peut être inférée, d’une part, des protocoles d’entretien produits par les fabricants des refroidisseurs et, d’autre part, du RFH, qui prescrit des exigences d’entretien. Elle ajoute avoir demandé à la sous-traitante, Trane, de suivre les protocoles des fabricants, et avoir surpassé les exigences d’entretien prescrites par le RFH.
[54] En conséquence, la demanderesse soutient que, pour établir la défense d’impossibilité de se conformer, il n’est pas requis qu’elle ait pris toutes les précautions imaginables pour prévenir les rejets d’halocarbure.
Les observations du défendeur
[55] Le défendeur, s’appuyant sur la décision Bell rendue par ce Tribunal et mentionnée plus haut, soutient que, pour établir une défense d’impossibilité, l’impossibilité doit être [traduction] « absolue » et que le seuil très élevé de ce critère n’est pas rempli lorsque l’inspection, la réparation ou le remplacement du matériel aurait permis de prévenir l’événement.
[56] Le défendeur ajoute que, comme BGIS avait l’autorité aux termes du contrat passé avec SPAC et le contrôle de la fréquence et de la qualité des inspections, et de la réparation de certains composants du matériel, elle avait donc l’obligation de produire des analyses efficaces et de prendre des décisions efficaces pour assurer un entretien continu.
[57] De plus, le défendeur fait valoir qu’il incombait à BGIS de produire des éléments de preuve à l’appui de sa défense d’impossibilité, fardeau dont elle ne s’est pas déchargée, et que, par conséquent, BGIS n’a pas établi que les rejets étaient impossibles à prévenir ni qu’ils étaient justifiés ou excusés au titre du paragraphe 11(2) de la LPAME.
Analyse et conclusions concernant la deuxième question
[58] Je suis davantage convaincue par les observations du défendeur sur cette question. De nombreuses dispositions contractuelles indiquent que BGIS avait des obligations en matière d’inspection, de réparation et d’entretien.
[59] De plus, j’estime que l’excuse de l’impossibilité fondée sur la common law exige que l’impossibilité soit absolue. En l’espèce, la demanderesse n’a pas présenté une preuve suffisante pour établir que l’impossibilité était absolue ou qu’elle avait pris des mesures suffisantes pour s’acquitter de ses obligations en matière d’inspection, de réparation et d’entretien du matériel.
[60] Par conséquent, je conclus que la demanderesse n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que les fuites étaient impossibles à prévenir ni qu’elle est exonérée de sa responsabilité au titre du paragraphe 11(2) de la LPAME.
La troisième question : Le régime de responsabilité absolue créé par le paragraphe 11(1) de la LPAME est-il inconstitutionnel ou autrement contraire aux principes de justice naturelle?
Les observations de la demanderesse
[61] La demanderesse soutient que la prémisse sur laquelle se fonde la responsabilité absolue est que les événements peuvent être aisément évités. Cependant, elle fait valoir que les rejets des refroidisseurs sont au contraire difficiles à prévenir et qu’en pratique, les violations de l’alinéa 3a) ne peuvent être évitées. Par conséquent, elle affirme que l’infliction d’une peine en dépit de l’absence de culpabilité morale peut contrevenir aux principes de justice naturelle.
[62] De plus, selon la demanderesse, le régime de responsabilité absolue créé par l’alinéa 11(1)a) de la LPAME contrevient à l’alinéa 11d) de la Charte, car la culpabilité est présumée, l’accusé est privé du bénéfice du doute raisonnable et un tel régime n’est pas justifié au regard de l’article premier de la Charte.
[63] La demanderesse ajoute que les personnes accusées d’une infraction criminelle bénéficient des protections prévues à l’article 11 de la Charte. Selon elle, comme les peines prévues par la LPAME constituent des sanctions de nature criminelle et de véritables conséquences pénales, elles déclenchent les garanties procédurales prévues à l’alinéa 11d) de la Charte.
Les observations du défendeur
[64] En réponse, le défendeur cite le paragraphe 13(2) de la LPAME, où il est précisé qu’une violation n’est pas une infraction et que nul ne peut être poursuivi à ce titre sur le fondement du Code criminel, et affirme que l’article 11 de la Charte ne s’applique donc aucunement en l’espèce.
[65] Le défendeur, s’appuyant sur l’arrêt Sault Ste. Marie, soutient en outre que la responsabilité absolue entraîne condamnation sur la simple preuve qu’un défendeur a commis l’acte prohibé et il ajoute qu’aucun élément moral n’est nécessaire.
Analyse et conclusions concernant la troisième question
[66] J’ai examiné attentivement les observations des parties et je suis d’accord avec le défendeur. Le paragraphe 13(2) de la LPAME indique très clairement que les violations ne sont pas des infractions et que nul ne peut être poursuivi à ce titre sur le fondement du Code criminel.
[67] L’alinéa 11d) de la Charte est ainsi libellé :
11 Tout inculpé a le droit :
d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable […]
Le paragraphe 13(2) de la LPAME est ainsi libellé :
13 (1) L’acte ou l’omission qualifiable à la fois de violation en vertu de la présente loi et d’infraction aux termes d’une loi environnementale peut être réprimé soit comme violation, soit comme infraction, les poursuites pour violation et celles pour infraction s’excluant toutefois mutuellement.
(2) Il est entendu que les violations ne sont pas des infractions; en conséquence, nul ne peut être poursuivi à ce titre sur le fondement de l’article 126 du Code criminel.
[68] Le terme « infraction » dans les lois canadiennes a un sens précis. Lorsqu’ils appliquent la loi, les agents d’application de la loi font des choix en ce qui concerne le type de pénalité qu’ils infligeront. Il est clairement affirmé dans la LPAME que le régime de pénalités administratives s’applique aux « violations » de la loi, et non pas aux infractions. Il est également clair que la protection prévue à l’alinéa 11d) de la Charte ne s’applique qu’aux infractions. Par conséquent, je conclus que l’alinéa 11d) de la Charte ne s’applique pas en l’espèce.
[69] En outre, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le régime de responsabilité absolue créé par la LPAME n’exige aucun élément moral pertinent. Par conséquent, je conclus que la loi ne contrevient pas aux principes de justice naturelle.
Est-ce que le montant de la pénalité était exact?
[70] Même si la demanderesse ne remet pas en question le montant de la pénalité imposée, il nous incombe néanmoins de vérifier que le calcul était exact, parce que cette vérification fait partie des tâches données aux réviseurs par le législateur : Sirois c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 6, au paragraphe 50).
[71] Il est de mise de commencer par le paragraphe 4(1) du Règlement sur les pénalités administratives en matière d’environnement, DORS/2017-109 :
(1) Le montant de la pénalité applicable à une violation de type A, B, ou C est calculé selon la formule suivante : W + X + Y + Z où : W représente le montant de la pénalité de base prévu à l’article 5; X le cas échéant, le montant pour antécédents prévu à l’article 6; Y le cas échéant, le montant pour dommages environnementaux prévu à l’article 7; Z le cas échéant, le montant pour avantage économique prévu à l’article 8. |
(1) The amount of the penalty for each Type A, B or C violation is to be determined by the formula W + X + Y + Z where W is the baseline penalty amount determined under section 5; X is the history of non-compliance amount, if any, as determined under section 6; Y is the environmental harm amount, if any, as determined under section 7; and Z is the economic gain amount, if any, as determined under section 8. |
[72] Une violation de l’article 3 du RFH est une violation de type C : annexe 1, partie 5, section 9, articles 1 et 2. Le montant de base (« W ») pour une violation de type C commise par une personne morale comme la demanderesse est de 5 000 $ : annexe 4, article 2, colonne 2.
[73] Le montant de la pénalité infligée en l’espèce, soit 5 000 $, est donc exact.
Décision
[74] Les demandes de révision sont rejetées. Par conséquent, les procès-verbaux no 8400-0276 et 8400-0302 sont maintenus.
Demandes de révision rejetées
« Pamela Large Moran » |
PAMELA LARGE MORAN RÉVISEURE |