Date de la décision : |
Le 9 juin 2022 |
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Référence : |
BGIS Solutions Globales Intégrées Canada LP c Canada (Environnement et Changement climatique), 2022 TPEC 5 |
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Numéros des dossiers du TPEC : |
0009‑2019 et 0010‑2019 |
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Intitulé : |
BGIS Solutions Globales Intégrées Canada LP c Canada (Environnement et Changement climatique), 2022 TPEC 5 |
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Demanderesse : |
BGIS Solutions Globales Intégrées Canada LP |
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Défendeur : |
Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada |
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Objet de la procédure : Révision, au titre de l’article 15 de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, LC 2009, c 14, art 126 (la « LPAME »), de pénalités infligées en vertu de l’article 7 de cette loi relativement à la violation de l’alinéa 3a) du Règlement fédéral sur les halocarbures (2003), DORS/2003-289, pris en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), LC 1999, c 33. |
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Date de l’audience : Le 14 avril 2022 (par téléconférence) |
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Comparutions : |
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Parties |
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Avocats |
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BGIS Solutions Globales Intégrées Canada LP |
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Mark Youden |
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Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada |
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Samantha Pillon |
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DÉCISION RENDUE PAR : |
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PAMELA LARGE MORAN |
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Contexte
[1] Deux procès-verbaux, numérotés 8400-0276 et 8400-0302, (les « PV ») ont été émisà la demanderesse, BGIS Solutions Globales Intégrées Canada LP (la « demanderesse » ou « BGIS »), le 11 juillet 2019, en vertu de l’article 7 et du paragraphe 10 (1) de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement (la « LPAME ») relativement à la violation de l’alinéa 3a) du Règlement fédéral sur les halocarbures (2003) (le « RFH »).
[2] La demanderesse fait valoir deux motifs au soutien de sa demande de révision. Premièrement, elle prétend ne pas avoir violé l’alinéa 3a) du RFH selon lequel il est interdit de « rejeter un halocarbure — ou d’en permettre ou d’en causer le rejet ». Deuxièmement, elle invoque des motifs d’ordre politique à l’appui de sa demande de révision et soutient que l’application des pénalités administratives est contraire à l’intérêt public et que le réviseur devrait les annuler.
[3] Environnement et Changement climatique Canada (« ECCC » ou « le défendeur ») soutient que la demanderesse a violé le RFH, qu’il s’agit d’une infraction de responsabilité absolueet que les PV doivent être maintenus.
Requête
[4] Le Tribunal de la protection de l’environnement du Canada (le « TPEC » ou le « Tribunal ») est saisi d’une requête de la demanderesse sur la question de la compétence. La présente décision ne porte pas sur la question de fond, à savoir si les PV doivent être maintenus.
[5] Voici donc les questions préliminaires relatives à la compétence qui sont soulevées dans la présente requête :
1. Le Tribunal a-t-il compétence pour se prononcer sur la validité constitutionnelle et l’applicabilité de la loi?
2. En effectuant la « révision du montant de la pénalité » en vertu de l’article 15 de la LPAME, a) le réviseur peut-il tenir compte de questions de politique, par exemple de l’effet dissuasif que pourrait avoir l’application de la loi sur l’industrie; et (b) dans l’affirmative, le réviseur peut-il annuler les PV pour des raisons de politique?
Positions des parties
[6] La demanderesse souhaite que le Tribunal statue qu’il a compétence pour se prononcer sur la validité constitutionnelle et l’applicabilité de la loi et elle fait valoir un argument à trois volets, à savoir, i) que le Tribunal a implicitement compétence pour examiner les questions de droit, y compris les questions constitutionnelles; ii) que l’ébauche des règles du Tribunal prévoit expressément la façon dont les questions constitutionnelles peuvent être soulevées; iii) que le Tribunal et ECCC ont reconnu la compétence du Tribunal sur les questions constitutionnelles.
[7] BGIS soutient en outre que, dans le cadre de la révision du montant de la pénalité, le réviseur peut, en vertu de l’article 15 de la LPAME, tenir compte des questions de politique et donc, annuler les PV pour des raisons de politique.
[8] En réponse, ECCC soutient que le législateur a confié aux réviseurs des pouvoirs restreints et que ces pouvoirs se limitent à ceux qui leur sont conférés par la loi. Plus précisément, le défendeur est d’avis que les réviseurs, en vertu de la LPAME, n’ont pas le pouvoir explicite ou implicite de trancher des questions de droit et n’ont donc pas compétence pour se prononcer sur des questions constitutionnelles ou relatives à la Charte.
[9] Le défendeur soutient également, à titre subsidiaire, que si les réviseurs ont compétence pour examiner les questions de droit, cette compétence leur permet alors simplement de ne pas tenir compte des dispositions attentatoires de la loi et qu’ils ne peuvent pas prononcer de déclarations d’invalidité.
Observations de la demanderesse
[10] En ce qui a trait à la première question relative à la compétence, la demanderesse soutient que, conformément au mandat conféré aux réviseurs par la LPAME, ces derniers possèdent implicitement compétence pour examiner les questions de droit. Plus précisément, BGIS soutient que l’article 3 de la LPAME vient confirmer cette compétence implicite, et que les réviseurs ne pourraient pas s’acquitter de leur mandat sans ce pouvoir.
[11] De même, les articles 11, 15 et 17 de la LPAME confèrent aux réviseurs le pouvoir de se prononcer sur des moyens de défense reconnus en droit, et donc d’interpréter les questions de droit et de preuve, ce qui confirme leur compétence.
[12] De plus, BGIS soutient que le Tribunal reconnaît, par l’entremise de l’ébauche de ses règles et de sa jurisprudence, que les réviseurs ont le pouvoir de trancher les questions constitutionnelles dont ils sont régulièrement saisis.
[13] BGIS s’appuie également sur le libellé de l’ébauche des règles du Tribunal, plus particulièrement la règle 8, qui permet la « jonction d’instances » et fait notamment référence aux « questions [...] de fait, de droit ou de politique », pour démontrer une fois de plus la compétence implicite du Tribunal. Par ailleurs, selon BGIS, la règle 29, intitulée « Questions d’ordre constitutionnelles [sic] » dispose expressément que les réviseurs peuvent examiner les questions constitutionnelles.
[14] BGIS soutient par ailleurs que le droit de solliciter le contrôle judiciaire des décisions du Tribunal, que ce soit en raison d’un manquement à un principe de justice naturelle ou d’une erreur de droit, ainsi que la nature décisionnelle du Tribunal, vient confirmer que celui-ci est habilité à se prononcer sur des questions de droit.
[15] BGIS ajoute que le Tribunal peut, tôt dans l’instance, statuer sur les questions constitutionnelles et assurer ainsi un accès à la justice et promouvoir l’administration de la justice, ce qui confirme que le législateur avait l’intention de lui conférer ce pouvoir.
[16] En ce qui a trait à la deuxième question relative à la compétence, à savoir si les réviseurs appelés à réviser le montant d’une pénalité peuvent tenir compte des questions de politique, BGIS soutient que les articles 15 et 20 et, plus précisément, le paragraphe 11 (2) de la LPAME, confèrent à ceux‑ci de larges pouvoirs.
[17] Par ailleurs, BGIS soutient que les réviseurs, à titre de décideurs désignés par la loi, sont assujettis à l’obligation d’équité procédurale et que le cadre stratégique du Tribunal, qui vise à donner des précisions sur la mise en œuvre et l’administration des pénalités administratives ainsi que sur l’application de la LPAME, doit être équitable, prévisible et cohérent afin que la mesure imposée permette d’assurer un retour à la conformité. BGIS soutient que ce cadre peut faire naître des attentes légitimes chez les personnes assujetties au régime de la LPAME.
[18] BGIS a également soulevé la question de politique qu’est celle de l’effet dissuasif que pourrait avoir sur l’industrie l’infliction de pénalités à des entités qui font tout en leur pouvoir pour se conformer au Règlement. BGIS soutient donc que les réviseurs peuvent tenir compte de considérations de politique telles qu’une question de droit administratif (équité procédurale) et une question de droit constitutionnel (s’il a été porté atteinte à un droit constitutionnel et si cette atteinte est justifiée).
[19] Par conséquent, BGIS estime que les réviseurs ont non seulement le pouvoir d’examiner les questions constitutionnelles, mais aussi les questions de politique, et qu’ils ont de plus le pouvoir de révoquer ou d’annuler un procès-verbal pour des raisons de politique.
Observations du défendeur
[20] Le défendeur soutient que les décideurs administratifs, y compris les réviseurs d’un tribunal fédéral tel que le TPEC, ne peuvent exercer leur pouvoir d’examen ou de réparation que dans la mesure prévue par la loi.
[21] ECCC se fonde sur les articles 15, 20 et 22 de la LPAME pour dire que la loi commande une interprétation étroite de la compétence des réviseurs et limite explicitement l’examen du décideur à deux questions de faits, à savoir si le présumé auteur de la violation a commis ladite violation et si la pénalité a été calculée conformément à la LPAME et au Règlement.
[22] ECCC soutient en outre qu’en l’absence d’une disposition accordant explicitement le pouvoir de trancher les questions de droit, il est possible de conclure, en examinant la loi dans son ensemble, à l’existence d’une compétence implicite à cet égard.
[23] ECCC soutient qu’il ressort clairement d’une lecture de la loi dans son ensemble et dans le contexte du régime de réglementation et de révision établi par le législateur, que ce dernier entendait limiter le pouvoir des réviseurs de manière à ce qu’ils puissent uniquement trancher des questions de fait. Le défendeur rappelle que, selon l’article 15 de la LPAME, les réviseurs ne peuvent que tirer deux conclusions fondées exclusivement sur les faits.
[24] ECCC ajoute que, lorsqu’il est appelé à déterminer si le ministre a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que l’auteur présumé de la violation a perpétré ladite violation et si le montant de la pénalité a été établi conformément à la loi, le réviseur n’a pas besoin de se livrer à une interprétation de la loi ou de formuler des conclusions de droit pour pouvoir tirer les conclusions de fait nécessaires à l’exécution de son mandat législatif.
[25] S’agissant des paragraphes 11 (1) et (2) de la LPAME, ECCC est d’avis que, dès qu’il est établi que les moyens de défense qui y sont mentionnés ne peuvent être invoqués, les règles et principes de common law qui ne sont pas incompatibles avec la loi peuvent s’appliquer. Toutefois, pour déterminer si ces règles ou principes de common law justifient ou excusent une violation, les réviseurs n’ont pas à se prononcer sur des questions de droit, mais doivent seulement examiner les circonstances factuelles.
[26] De plus, ECCC soutient que les fonctions que la LPAME attribue aux réviseurs ne sont pas de nature juridictionnelle et que le régime des pénalités administratives que la LPAME établit et qui confère aux réviseurs un pouvoir limité, contribue à la réalisation de l’objet de la loi, qui consiste à créer un processus décisionnel rapide et économique et donc à rendre le système de révision qui y est prévu plus accessible.
[27] Par conséquent, ECCC soutient fermement que la LPAME n’a pas conféré aux réviseurs qui effectuent des révisions en vertu de cette loi le pouvoir de statuer sur des questions de droit, ni explicitement ni implicitement.
[28] ECCC reconnaît toutefois que la jurisprudence appuie la thèse selon laquelle un tribunal administratif qui a en fait compétence, explicite ou implicite, pour examiner une question de droit a le pouvoir d’interpréter la Charte et de l’appliquer aux dispositions pertinentes de la loi contestée.
[29] De plus, ECCC soutient que, si les réviseurs ont le pouvoir légal de trancher des questions de droit, ils n’ont qu’un pouvoir limité en ce qui concerne la validité constitutionnelle et l’applicabilité de la loi. Par conséquent, les réviseurs ne peuvent pas déclarer la loi invalide, mais peuvent ignorer la disposition qui est incompatible avec la Charte aux fins de l’affaire dont ils sont saisis.
[30] Enfin, ECCC soutient que, vu le libellé explicite de la LPAME, les réviseurs ne peuvent pas effacer un PV émispar ECCC ou autrement l’annuler, et qu’ils n’ont pas le pouvoir discrétionnaire de tenir compte d’autres facteurs, comme l’effet de l’infliction de la pénalité sur l’industrie, lorsqu’ils procèdent à une révision.
Analyse et conclusions
Compétence sur les questions de droit
[31] Les réviseurs du TPEC n’ont pas compétence expresse pour examiner les questions de droit. Toutefois, ils ont implicitement compétence pour le faire. En effet, cette compétence implicite est essentielle pour que les réviseurs puissent s’acquitter du rôle que leur a confié le législateur. Comme ils ont implicitement compétence pour examiner les questions de droit, ils ont, par le fait même, compétence pour examiner les questions constitutionnelles.
[32] La jurisprudence du Tribunal regorge d’exemples de cas où les réviseurs ont procédé à l’interprétation non seulement des lois et des règlements relevant de la compétence du Tribunal, mais aussi d’autres lois et règlements pertinents. Par conséquent, les réviseurs ont également tranché des questions de droit afin de tirer les conclusions de fait nécessaires à l’exécution de leur mandat législatif.
[33] Sans vouloir faire un examen exhaustif de la jurisprudence du Tribunal, je vais présenter quelques-unes de ses décisions dans lesquelles il est clair que les réviseurs ont procédé à une analyse juridique.
[34] Pour commencer, même si le paragraphe 11 (1) et les articles 7, 15,17 et 20 de la LPAME imposent une responsabilité absolue, le ministre doit quand même prouver tous les éléments de la violation au texte législatif en cause, selon la prépondérance des probabilités. Aux termes du paragraphe 20 (2) de la LPAME, le fardeau de la preuve incombe au ministre. Les réviseurs du TPEC doivent donc procéder à une analyse juridique et factuelle des dispositions attentatoires de la loi en cause pour déterminer si le ministre s’est acquitté du fardeau de preuve requis.
[35] Dans l’affaire Legault c Canada (Environnement et Changement climatique Canada), 2021 TPEC 1, les demandeurs ont reçu un PV pour avoir enfreint le Règlement sur les oiseaux migrateurs (le « ROM »). Dans cette décision, le réviseur a procédé à une analyse juridique détaillée des éléments de la violation énoncés dans le ROM, ainsi qu’à l’interprétation du RPAME afin de s’assurer de l’existence du lien de causalité nécessaire entre la violation et les dommages environnementaux en découlant.
[36] Dans la décision BGIS O&M Solutions Inc. c Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 9, la demanderesse a demandé au Tribunal d’examiner une requête en rejet sommaire d’un PV avant que le ministre n’ait clos sa preuve. Le réviseur a donc dû examiner des questions de droit et d’interprétation de la LPAME.
[37] De plus, dans la décision Bhaiyat c Canada (Environnement et Changement climatique), 2019 TPEC 1, le réviseur-chef était appelé à interpréter le libellé de la LPAME et du RPAME pour déterminer si les réviseurs avaient le pouvoir d’annuler une pénalité ou d’en réduire le montant.
[38] Dans la décision 1952157 Ontario Inc. c Canada (Environnement et Changement climatique), 2019 TPEC 5, le réviseur-chef était appelé à interpréter une disposition du RPAME portant sur l’avantage économique tiré par l’auteur de la violation, un facteur aggravant. Il a donc dû interpréter le libellé du paragraphe 8 (1) du RPAME et déterminer si l’avantage économique devait être évalué en fonction du moment de la violation ou d’un moment ultérieur. Si une pénalité est infligée en raison d’un facteur aggravant, le réviseur doit déterminer si ce facteur était présent au moment de la violation, compte tenu de la définition que donne à ce facteur le RPAME. Par conséquent, il arrive souvent que les réviseurs soient tenus, dans leur analyse, de répondre à des questions de droit sur le lien de causalité, c.-à-d. si l’infraction a causé des dommages environnementaux, si l’auteur de la violation a des antécédents de non-conformité ou s’il a tiré un avantage de la violation : 1952157 Ontario Inc. c Canada (Environnement et Changement climatique), 2019 TPEC 5 (avantage économique); Kruger c Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 1 (avantage économique); Sirois c Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 6 (dommages environnementaux); Nyobe c Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 7 (dommages environnementaux et avantage économique); Moreau c Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 8 (antécédents de non-conformité).
[39] Dans la décision ArcelorMittal Canada Inc. c Canada (Environnement et Changement climatique), 2019 TPEC 4, le réviseur du TPEC a procédé à une analyse juridique détaillée des règles de droit applicables aux sociétés en nom collectif, ce qui a nécessité l’interprétation de la loi provinciale, afin de déterminer si chacune des associées pouvait être tenue responsable en vertu de la LPAME.
[40] De plus, je souscris à la thèse de la demanderesse selon laquelle l’article 11 de la LPAME exclut les moyens de défense que sont la diligence raisonnable et l’erreur de fait, mais qu’il permet d’invoquer d’autres moyens de défense de common law. De ce fait, les réviseurs doivent examiner divers moyens de défense de common law, ce qui les oblige à procéder à une analyse juridique.
[41] La récente décision du Tribunal Cameron Wildlife Solutions c Canada (Environnement et Changement climatique), 2022 TPEC 2, en est un bon exemple puisque le réviseur a été tenu d’examiner la défense de nécessité issue de la common law que la demanderesse avait invoquée et selon laquelle l’inobservation de la loi peut être justifiée par une urgence ou la recherche d’un plus grand bien. Dans cette décision, le réviseur a dû appliquer aux faits et à la preuve la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, selon laquelle trois éléments devaient être présents pour que le moyen de défense fondé sur la nécessité soit retenu.
[42] De même, dans la décision Rice c Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 4, le demandeur a justifié la violation par la défense de provocation policière issue de la common law. Le réviseur a bien analysé la question et a appliqué les balises posées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Klevtsov, 2018 CAF 196 :
[...] le Tribunal doit déterminer si l’existence des éléments constitutifs de la défense de provocation policière est établie par la preuve avant de pouvoir conclure que l’accusation n’est pas prouvée. Autrement dit, le Tribunal doit d’abord se demander quels sont les éléments relatifs à la preuve et les éléments juridiques qui doivent être établis pour que l’on puisse conclure à l’applicabilité de la défense de provocation policière invoquée à l’encontre de l’accusation énoncée dans l’avis de violation. Il doit ensuite examiner la preuve elle‑même et déterminer si elle est suffisante pour établir les éléments qui doivent l’être.
[43] Par conséquent, je conclus que, dans l’exercice de leurs fonctions, les réviseurs du TPEC sont fréquemment appelés à trancher différentes questions de droit et à se livrer à des interprétations et à des analyses juridiques. Ils interprètent la LPAME et ses règlements, ainsi que d’autres lois et règlements pertinents. Afin de remplir le rôle qui leur a été confié par le législateur, les réviseurs doivent toujours analyser les éléments constitutifs de la violation à la loi environnementale en cause et tenir compte du fardeau ultime et du fardeau de présentation qui incombent au ministre. Ils interprètent en outre les moyens de défense de common law. Tout ce qui précède permet de déterminer si le Tribunal a implicitement compétence pour trancher des questions de droit et, par le fait même, des questions constitutionnelles.
[44] Par conséquent, je conclus que les réviseurs du TPEC ont non seulement la compétence implicite pour trancher les questions de droit, mais qu’une telle compétence est clairement nécessaire pour que le Tribunal puisse exécuter efficacement son mandat. Il convient de noter qu’une telle nécessité a été considérée comme un facteur important en ce qui concerne la question du pouvoir d’un organisme administratif de trancher les questions de droit, comme il est indiqué dans l’arrêt de principe de la Cour suprême du Canada Martin c. Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board), 2003 CSC 54.
[45] Par conséquent, comme j’ai conclu que les réviseurs du TPEC ont implicitement compétence pour analyser et trancher les questions de droit, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres arguments soulevés par la demanderesse au sujet de l’ébauche des règles du TPEC et du cadre stratégique.
Validité constitutionnelle et applicabilité de la loi
[46] Lorsque le mandat d’un tribunal touche à des questions de droit, ce tribunal a également le pouvoir de trancher des questions constitutionnelles ou liées à la Charte. Cela a été clairement expliqué par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Martin (précité) :
[…] Normalement, un organisme administratif a ou n’a pas le pouvoir de trancher des questions de droit. Je le répète, on présume que l’organisme administratif investi de ce pouvoir peut déborder le cadre de sa loi habilitante et, sous réserve d’un contrôle judiciaire selon la norme applicable, trancher les questions de droit commun ou d’interprétation législative soulevées dans une instance dont il est dûment saisi […] À moins que l’intention contraire soit exprimée ou ressorte clairement, un tel organisme administratif est également compétent pour soumettre à un examen fondé sur la Charte les dispositions qu’il est habilité à appliquer [...] [italiques ajoutés].
[47] De plus, l’avocate du ministre a fait remarquer, à juste titre, qu’il était établi dans la jurisprudence que lorsqu’un tribunal administratif a compétence pour trancher des questions de droit, il est présumé être en mesure d’appliquer la Charte. Mario Côté Inc. c Canada (PG), 2017 CAF 36, au para 15.
[48] Par conséquent, lorsqu’il est question d’un droit garanti par la Charte, les réviseurs du TPEC peuvent examiner une disposition législative pour s’assurer qu’elle est conforme à la Charte. Toutefois, dans l’affaire dont je suis saisie, la demanderesse n’a fait valoir aucune violation particulière d’un droit garanti par la Charte qu’il me faudrait examiner.
Question de politique
[49] BGIS semble prétendre que, étant donné que je suis arrivée à la conclusion que les réviseurs du TPEC ont le pouvoir d’examiner toute question liée à la Charte que pourrait soulever la loi en cause, je devrais également accepter la thèse selon laquelle les questions de politique s’apparentent aux questions constitutionnelles et qu’elles peuvent donc être examinées par les réviseurs. Je ne crois pas que ce soit le cas. Les questions de politique sont des questions tout à fait différentes. Le fait que les réviseurs aient une compétence implicite ne signifie pas qu’ils peuvent permettre à une partie de soulever une question ou une préoccupation d’ordre politique, comme l’effet dissuasif que pourrait avoir l’application de la loi sur l’industrie. BGIS n’a fourni aucun précédent à l’appui de sa thèse selon laquelle il existe un droit constitutionnel d’invoquer en défense l’intérêt public dans une procédure réglementaire.
[50] Au paragraphe 70 de son mémoire, BGIS propose un critère à trois volets :
[traduction] TPEC doit donc avoir la compétence pour « révoquer » ou « annuler » un procès-verbal ou une pénalité lorsque le demandeur est en mesure d’établir l’un des moyens de défense de common law visés au paragraphe 11(2) de la LPAME, notamment :
i) que la pénalité a été infligée contrairement aux attentes légitimes.
ii) que la pénalité a été infligée en dépit de l’obligation d’équité.
iii) que la pénalité ou sa loi constitutive était inconstitutionnelle.
[51] Par conséquent, BGIS tente d’élargir les moyens de défense de common law visés à l’article 11 de la LPAME afin d’inclure le manquement à une attente légitime et le refus de reconnaître l’existence d’une obligation d’équité. Toutefois, après le paragraphe 11 (1), qui exclut certains moyens de défense, le paragraphe 11 (2) de la LPAME prévoit ce qui suit :
(2) Les règles et principes de la common law qui font d’une circonstance une justification ou une excuse dans le cadre d’une poursuite pour infraction à une loi environnementale s’appliquent à l’égard d’une violation dans la mesure de leur compatibilité avec la présente loi.
[52] Les questions de politique ne répondent pas à la définition du paragraphe 11 (2) de la LPAME, soit des règles et principes qui « font d’une circonstance une justification ou une excuse » et, à ce titre, elles ne sauraient être invoquées en défense dans une procédure réglementaire. Par conséquent, aucun fondement constitutionnel, législatif ou de common law ne permet à BGIS d’invoquer l’intérêt public comme moyen de défense dans une demande de révision.
[53] Quant à la troisième partie du critère qu’elle a proposé, BGIS n’a soumis au Tribunal aucune question constitutionnelle ou violation de la Charte.
[54] De plus, je suis d’accord avec le ministre pour dire que les articles 15 et 22 de la LPAME limitent ce qu’un réviseur peut faire lors d’une révision. Les décisions du Tribunal sont cohérentes en ce qu’elles établissent qu’un réviseur ne peut faire que deux choses : i) examiner si ECCC s’est acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir qu’une violation a eu lieu, et ii) déterminer si le montant de la pénalité est correct selon le RPAME.
[55] L’article 22 de la LPAME dispose clairement qu’en cas de décision défavorable, « l’auteur de la violation est tenu au paiement de la pénalité mentionnée dans la décision ». Ce libellé prescriptif limite le pouvoir décisionnel du réviseur et lui enlève la faculté de tenir compte d’autres facteurs avant de maintenir une pénalité. Si le réviseur conclut que la violation a été commise, il détermine ensuite à qui infliger la pénalité. Les réviseurs n’ont pas des pouvoirs très étendus et, comme le Tribunal l’a invariablement conclu, ils n’ont pas compétence pour examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’application de la loi.
[56] En conséquence, en ce qui concerne les questions préliminaires relatives à la compétence énoncées au début de la présente décision (au par 5), je réponds par l’affirmative à la question 1) et je conclus que le TPEC a compétence pour examiner la validité constitutionnelle et l’applicabilité de la loi. En ce qui concerne la question 2), je réponds par la négative et je conclus que, conformément à l’article 15 de la LPAME, un réviseur ne peut pas tenir compte des préoccupations d’ordre politique, comme l’effet dissuasif que pourrait avoir l’application de la loi sur l’industrie, ni annuler les PV en raison de ces préoccupations.
Décision
[57] La requête de BGIS est accueillie en partie. Je conclus que les réviseurs du TPEC ont compétence pour examiner la validité constitutionnelle et l’applicabilité de la loi. Le reste de la requête de BGIS est rejeté. L’audience sur le fond suivra, à moins qu’il n’y ait des questions préliminaires à régler. Aux termes de l’article 20 de la LPAME, il appartient au ministre d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que BGIS a violé l’alinéa 3a) du Règlement fédéral de 2003 sur les halocarbures, tel qu’il est énoncé dans les PV, et que des pénalités s’appliquent.
« Pamela Large Moran » |
PAMELA LARGE MORAN RÉVISEURE |