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Tribunal de la protection de
l’environnement du Canada

Canada Coat of Arms

Environmental Protection
Tribunal of Canada

 

Date de publication :

Le 10 juin 2021

Référence :

Andrade c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 4

Numéros des dossiers du TPEC :

0005-2019, 0006-2019 et 0007-2019

Intitulé :

Andrade c. Canada (Environnement et Changement climatique)

Demandeur :

Patrick Sousa Andrade

Défendeur :

Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

Objet de la procédure : Révision, au titre de l’article 15 de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, L.C. 2009, ch. 14, art. 126, de pénalités infligées en vertu de l’article 7 de cette loi relativement à la violation de l’alinéa 3(1)h) du Règlement sur les réserves d’espèces sauvages, C.R.C., ch. 1609, pris en vertu de la Loi sur les espèces sauvages du Canada, L.R.C. 1985, ch. W‑9.

Instruit :

Le 18 mai 2020 (par vidéoconférence)

Comparutions :

Parties

 

Avocats

Patrick Sousa Andrade

 

Martin Subak

Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

 

André Capretti

DÉCISION RENDUE PAR :

 

PAUL DALY


Introduction

[1]          Le 23 janvier 2019, en début de soirée, Patrick Sousa Andrade (« le demandeur ») et son ami, Gabriel Langlois, ont rencontré des agents de la faune travaillant pour Environnement et Changement climatique Canada (« le Ministère » ou « le Ministre »).

[2]          Le demandeur et son ami faisaient de la motoneige dans de mauvaises conditions, et leur motoneige s’était enlisée dans la neige, à quelques mètres en dehors de la Réserve nationale de faune du Lac-Saint-François (« la Réserve de faune »). À l’époque pertinente, il était interdit « d’utiliser tout moyen de transport » dans la Réserve de faune aux termes de l’alinéa 3(1)h) du Règlement sur les réserves d’espèces sauvages, C.R.C., ch. 1609.

[3]          Interrogé par les agents, le demandeur aurait avoué avoir fait de la motoneige dans la Réserve de faune le 23 janvier 2019 et au cours des deux jours précédents. Les agents ont dressé trois procès-verbaux pour chacune des trois incursions dans la Réserve de faune. Le total des pénalités administratives ainsi imposées au demandeur s’élevait à 3 000 $, soit un montant de base de 400 $ et un montant pour dommages environnementaux de 600 $ pour chaque infraction.

[4]          Pour les motifs énoncés ci‑après, le Tribunal accueille la demande de révision. Le Ministre n’a pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur a commis les infractions alléguées.

[5]          En ce qui concerne les procès-verbaux relatifs au 21 et au 22 janvier, il n’y a aucune preuve d’une violation à part l’aveu allégué du demandeur, et la valeur probante de cet aveu est minée par le témoignage de l’un des agents de la faune du Ministère.

[6]          En ce qui a trait au procès-verbal relatif au 23 janvier, le Tribunal n’est pas convaincu qu’il est plus probable qu’improbable que le demandeur soit entré dans la Réserve de faune. Il y est peut-être entré, mais en l’absence de preuve directe en ce sens, il est impossible de dire si le Ministre s’est déchargé de son fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’une infraction a été commise.

Contexte

[7]          Le soir du 23 janvier 2019, les agents de la faune Simon Duplin et Daniel Breton, de même que trois agents de la Gendarmerie royale du Canada (« la GRC ») patrouillaient dans la Réserve de faune, qui borde la frontière des États-Unis.

[8]          Vers 19 h 54, ils ont croisé le demandeur et Gabriel Langlois, dont la motoneige était enlisée dans la neige.

[9]          Le demandeur et M. Langlois ont été brièvement mis en détention en vertu de la législation douanière et fouillés par l’un des agents de la GRC. Le demandeur a également répondu aux questions de l’agent de la GRC.

[10]       Vers 20 h 10, après avoir indiqué au demandeur qu’il était toujours détenu, l’agent Duplin l’a informé de son droit de garder le silence et du fait que l’agent Breton consignerait les déclarations qu’il pourrait faire.

[11]       Après avoir dégagé la motoneige enlisée, les agents ont escorté le demandeur et M. Langlois à la camionnette que le demandeur avait louée.

[12]       Les trois procès-verbaux (9200-1201, 9200-1202 et 9200-1203) ont été signifiés au demandeur le 26 mars 2019.

[13]       La carte suivante a été déposée en preuve :

[14]       Les lignes vertes délimitent la Réserve de faune.

[15]       Le terme « Motoneige » indique le point, juste en dehors de la Réserve de faune, où le demandeur a été intercepté par les agents de la GRC et les agents de la faune. Le terme « Camion » indique l’endroit où la camionnette du demandeur était stationnée.

[16]       La vaste étendue d’eau au nord de la Réserve de faune est le fleuve Saint-Laurent. Cette partie du fleuve Saint-Laurent comprend le lac Saint-François.

[17]       L’étendue d’eau qui s’écoule vers le sud à partir du fleuve Saint-Laurent et du lac Saint-François est la rivière aux Saumons.

[18]       La ligne rouge représente le chemin que les agents de la faune ont emprunté à partir de la motoneige enlisée pour ramener le demandeur à sa camionnette.

Question en litige

[19]       Le Ministre a-t-il démontré, selon la prépondérance des probabilités, comme l’exige l’article 20(2) de la Loi sur les pénalités administratives en matière d'environnement, que le demandeur a utilisé un moyen de transport dans la Réserve de faune les 21, 22 et 23 janvier 2019?

Preuve

[20]       Deux agents de la faune ont témoigné pour le compte du Ministre, soit Simon Duplin et Daniel Breton. Ils sont tous deux des agents chevronnés, qui connaissent bien la Réserve de faune.

[21]       Les témoignages des agents de la faune ont, en grande partie, confirmé les faits énoncés ci-dessus.

[22]       Les agents de la faune ont déclaré qu’il aurait été très difficile (voire extrêmement dangereux) pour le demandeur de se rendre, à partir de sa camionnette, jusqu’au lieu où sa motoneige s’était enlisée dans la neige par tout autre chemin que celui marqué en rouge sur la carte. Selon eux, il est extrêmement dangereux de passer par le fleuve Saint-Laurent et le lac Saint-François en janvier (étant donné que le fleuve n’est pas encore complètement gelé à ce stade relativement tôt de l’hiver). Si le demandeur était passé par le sud, il aurait fallu qu’il longe la frontière avec les États-Unis, qui fait régulièrement l’objet de patrouilles, et qu’il traverse divers champs privés, un exercice qui aurait requis un degré élevé de compétence et d’expérience.

[23]       Les agents de la faune ont remarqué que la motoneige du demandeur était plus de type sport et qu’elle n’avait pas été conçue pour être utilisée hors sentier. De plus, à leur avis, le demandeur et son ami n’étaient pas bien équipés pour faire de la motoneige, car ils n’avaient pas l’équipement nécessaire, comme des pelles, pour se sortir d’une situation difficile.

[24]       En outre, l’agent Duplin a mentionné deux faits à l’appui de la décision de dresser les procès-verbaux. D’abord, il a déclaré que le demandeur avait avoué avoir utilisé sa motoneige dans la Réserve de faune le 23 janvier ainsi que la veille et l’avant-veille. Toutefois, l’agent Breton a déclaré que le demandeur avait avoué avoir fait de la motoneige « dans le secteur », et non précisément dans la Réserve de faune.

[25]       Ensuite, l’agent Duplin a déclaré que, après avoir été raccompagné à sa camionnette par le chemin indiqué en rouge sur la carte, le demandeur a confirmé avoir emprunté ce chemin. De plus, il y avait une pancarte sur le côté du chemin : selon l’agent Duplin, le demandeur a reconnu être passé devant la même pancarte à l’aller.

[26]       Enfin, selon les agents de la faune, près du lieu où le demandeur et son ami ont été retrouvés avec la motoneige, il y avait des pistes de motoneige en direction nord et en direction sud. Aucun élément de preuve n’a été déposé quant à la présence ou à l’absence de pistes de motoneige le long du fleuve Saint-Laurent et du lac Saint-François.

[27]       Le demandeur a déclaré qu’il avait fait de la motoneige les 21, 22 et 23 janvier 2019. Cependant, il a mentionné qu’à chaque occasion, il était allé en direction nord à partir de sa camionnette jusqu’au fleuve Saint-Laurent et avait longé le rivage du lac Saint-François jusqu’à la rivière aux Saumons. Le demandeur a ajouté qu’à chaque occasion, il avait suivi des pistes de motoneige existantes. Il avait peu de souvenirs (voire aucun) de ses réponses aux questions posées par les agents de la faune. Il a également déclaré qu’il était bel et bien un motoneigiste amateur et inexpérimenté : il avait loué la camionnette et la motoneige à Laval avant de se rendre dans le secteur de la Réserve de faune.

Analyse et conclusions

21 et 22 janvier 2019

[28]       À la lumière de la preuve, la question des procès-verbaux dressés relativement au 21 et au 22 janvier 2019 peut être réglée sommairement.

[29]       Le seul élément de preuve présenté par le Ministre à l’appui de ces procès-verbaux est l’aveu allégué du demandeur.

[30]       L’aveu a été enregistré par l’agent Duplin.

[31]       Cependant, l’agent Breton a déclaré que le demandeur avait répondu qu’il avait fait de la motoneige « dans le secteur » de la Réserve de faune, ce qui ne signifie pas nécessairement dans la Réserve de faune en tant que telle.

[32]       Il semble donc que l’agent Duplin ait mal compris la réponse du demandeur à ses questions.

[33]       Sans mettre en doute la crédibilité de l’agent Duplin, il est impossible de conclure, à la lumière de cet élément de preuve, qu’il est plus probable qu’improbable que le demandeur soit entré dans la Réserve de faune les 21 et 22 janvier 2019.

[34]       La demande de révision doit donc être accueillie pour ce qui est des procès-verbaux N9200-1201 et N9200-1202.

23 janvier 2019

[35]       Le Tribunal ne peut conclure que le Ministre s’est déchargé de son fardeau de preuve.

[36]       Le Tribunal accepte le témoignage des agents de la faune selon lequel il était, à tout le moins, extrêmement dangereux de se rendre au lieu d’enlisement de la motoneige par tout autre chemin que celui traversant la Réserve de faune. Le fait d’agir d’une façon extrêmement dangereuse est cependant compatible avec le profil de motoneigiste inexpérimenté du demandeur, qui a utilisé une motoneige qui ne convenait pas aux déplacements hors sentier et qui était mal équipée pour le faire.

[37]       De plus, le Ministre n’a présenté aucun élément de preuve précis quant aux conditions météorologiques dans les jours et les semaines qui ont précédé le 23 janvier 2019. Le Tribunal est disposé à accepter que les conditions pour la motoneige ne soient pas optimales à la fin janvier de façon générale. Or, en l’absence d’élément de preuve précis concernant la météo et les conditions autour de la période pertinente, le Tribunal ne peut pas conclure qu’il est plus probable qu’improbable que le demandeur n’ait pas emprunté le chemin apparemment périlleux qui longe le fleuve Saint-Laurent et le lac Saint-François.

[38]       En outre, les agents de la faune ont déclaré qu’il y avait des pistes de motoneige en direction nord et en direction sud à partir de l’endroit où se trouvait la motoneige du demandeur. Cette déclaration est conforme au récit du demandeur quant à la façon dont il s’est déplacé jusqu’au lieu d’enlisement.

[39]       En réalité, les aveux allégués du demandeur selon lesquels il aurait été dans la Réserve de faune sont le seul élément de preuve direct démontrant que le demandeur est allé dans la réserve le 23 janvier 2019. Ces aveux ont été faits tard le soir, dans la noirceur et dans de mauvaises conditions météorologiques. Ils pourraient très bien résulter de malentendus, une hypothèse qui est d’ailleurs étayée par le malentendu entre les agents Duplin et Breton concernant l’aveu allégué du demandeur relativement au 21 et au 22 janvier 2019. La valeur probante des aveux est donc limitée.

[40]       Au vu du dossier, le Tribunal ne peut pas conclure qu’il est plus probable qu’improbable que le demandeur soit entré dans la Réserve de faune. Compte tenu des circonstances, les aveux allégués sont insuffisants pour appuyer les prétentions du Ministre.

Calcul des pénalités

[41]       Étant donné que la demande de révision du demandeur est accueillie, il n’est pas nécessaire de se pencher sur le calcul des pénalités administratives imposées. Néanmoins, étant donné que le Tribunal a entendu des arguments relatifs au calcul des pénalités administratives, il est en mesure de formuler quelques brefs commentaires, qui pourraient s’avérer utiles aux agents sur le terrain et aux avocats dans de futures affaires.

[42]       Les pénalités imposées en l’espèce comprenaient un montant de base de 400 $. Il s’agit du montant prévu pour les infractions de type B, telle que la violation de l’alinéa 3(1)h) : Règlement sur les pénalités administratives en matière d’environnement DORS/2017-109 (« le Règlement PAME »), annexe 1, partie 2, section 2; annexe 4, article 1, colonne 3. Ce montant a été calculé correctement. Le demandeur ne conteste pas le calcul du montant de base.

[43]       Les pénalités comprenaient également un montant de 600 $ pour dommages environnementaux : Règlement PAME, annexe 4, article 1, colonne 5. Ce montant a aussi été calculé correctement.

[44]       Cependant, le demandeur a fait valoir que le montant pour dommages environnementaux n’aurait jamais dû être imposé. L’article 7 du Règlement PAME prévoit l’imposition d’un montant pour dommages environnementaux si « des dommages environnementaux découlent de la violation commise », ce qui impose une exigence fondamentale de causalité. Il doit y avoir un lien de causalité entre la violation et les dommages environnementaux : voir Nyobe c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 7, aux par. 28-34.

[45]       En l’espèce, les agents de la faune ont déclaré que, de façon générale, l’utilisation de motoneiges sur le chemin indiqué en rouge sur la carte (voir le par. 13 ci-dessus) compacte la neige dans la Réserve de faune. Lorsque la neige est compactée, les espèces envahissantes peuvent nuire plus facilement aux espèces protégées qui vivent dans la Réserve de faune ou qui la traversent. Le Ministre a soutenu que cela suffisait pour satisfaire à l’exigence de causalité du Règlement.

[46]       En réponse, le demandeur a fait valoir que la preuve du Ministre était générale et non précise. Selon le demandeur, le fait que les motoneiges, en général, ont pour effet de compacter la neige et de perturber l’équilibre naturel de la Réserve de faune ne signifie pas que sa propre motoneige a eu précisément cet effet.

[47]       Le Tribunal souscrit aux observations du Ministre à cet égard. Il n’est pas nécessaire de présenter une preuve précise du type envisagé par le demandeur. Si le demandeur avait utilisé une motoneige dans la Réserve de faune, ce moyen de transport y aurait compacté la neige. Comme les témoins du Ministre l’ont expliqué, le compactage de la neige a un effet nuisible sur les espèces protégées qui vivent dans la Réserve de faune ou qui la traversent. Par conséquent, il était approprié en l’espèce d’imposer le montant de 600 $ relativement aux dommages environnementaux (or, tel qu’il a été expliqué précédemment, la violation sous-jacente n’a pas été établie selon la prépondérance des probabilités).

Décision

[48]       La demande de révision est accueillie et les procès-verbaux nos N9200-1201, N9200-1202 et N9200-1203 sont annulés.

Demande de révision accueillie

Pénalités administratives annulées

 

« Paul Daly »

PAUL DALY

RÉVISEUR

 

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