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Tribunal de la protection de
l’environnement du Canada

Canada Coat of Arms

Environmental Protection

Tribunal of Canada

 

Date de publication :

Le 23 avril 2021

Référence :

BCE Inc. c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 2

Numéros de dossiers du TPEC :

0052-2018, 0053-2018, 0054-2018, 0055-2018, 0056-2018 et 0057-2018

Intitulé :

BCE Inc. c. Canada (Environnement et Changement climatique)

Demanderesse :

BCE Inc.

Défendeur :

Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

Objet de la procédure : Révision, au titre de l’article 15 de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, LC 2009, c 14, art 126, des pénalités infligées en vertu de l’article 7 de cette loi relativement aux violations des alinéas 11(1), 24(1), 31(1), 32(b) du Règlement fédéral sur les halocarbures (2003), DORS/2003‑289, pris en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), LC 1999, c 33.

Comparutions :

Parties

 

Avocats

BCE Inc.

 

Stéphane Richer

Julien Boudreault

Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

 

Philippe Proulx

 

ORDONNANCE RENDUE PAR :

 

PAUL DALY


[1]          Le Tribunal est saisi d’une requête déposée par la demanderesse, BCE Inc. (« la demanderesse ») sous l’égide de l’article 15.1 de l’Ébauche des règles de procédure du Tribunal, visant la production de documents dans la possession du défendeur, le Ministre d’Environnement et changement climatique Canada (le « Ministre »).

[2]          Les documents visés sont des documents détenus par le Ministre. Il s’agit d’une part de la documentation utilisée par le Ministre afin de former des agents d’application des lois environnementales et d’autre part d’une liste de certaines violations aux lois environnementales et les sanctions appliquées à l’égard de ces violations.

[3]          La demanderesse veut obtenir ces documents afin de soutenir sa théorie de la cause. Celle-ci est, essentiellement, que l’agente d’application de la loi qui a donné les six procès-verbaux qui font l’objet du processus de révision actuel aurait dû imposer un simple avertissement au lieu des sanctions administratives pécuniaires. Selon la demanderesse, les documents visés démontreraient qu’une agente d’application de la loi doit, en pareille situation, délivrer un avertissement et non imposer des sanctions administratives pécuniaires.

[4]          Or, les dispositions législatives et réglementaires circonscrivant le rôle du Tribunal sont limpides, et la jurisprudence du Tribunal est claire. Le Tribunal n’a pas la compétence de statuer sur l’exercice de discrétion des agents d’application de la loi. Les documents ne sont donc pas pertinents aux fins du processus de révision des six procès-verbaux donnés à la demanderesse. La théorie de la cause de la demanderesse étant ainsi vouée à l’échec, le Tribunal doit rejeter la requête pour production de documents.

Contexte

[5]          En novembre 2018, une agente d’application de la loi agissant au nom du Ministre a donné six procès-verbaux à la demanderesse à l’égard des violations alléguées au Règlement fédéral sur les halocarbures (2003), DORS/2003-289. Émis sous l’égide de la Loi sur les pénalités administratives en matière d'environnement, LC 2009, c 14, art 126 (« la LPAME »), les procès-verbaux imposaient des sanctions administratives pécuniaires totalisant 6,000 $.

[6]          Le 30 décembre 2018, la demanderesse a déposé une demande de révision des six procès-verbaux auprès du Tribunal en vertu des dispositions de la LPAME.

[7]          Conformément au protocole de l’instance qu’ils ont accepté, les parties ont convenu d’un exposé conjoint partiel des faits et ont déposé des affidavits.

[8]          En septembre 2019, la demanderesse a interrogé l’agente d’application de la loi sur le contenu de son affidavit. Lors de ce questionnement, la demanderesse a présenté sept demandes d’engagements à l’agente. Le Ministre a refusé de répondre à deux de ces engagements, qui visaient essentiellement les mêmes documents que la requête actuelle.

[9]          Face au refus du Ministre de répondre aux deux engagements, la demanderesse s’est tournée vers le Tribunal. Or, le Tribunal a rejeté la requête de la demanderesse visant à obtenir des réponses aux engagements : BCE Inc. c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2019 TPEC 7. Le Tribunal était d’avis que les engagements étaient « hors de la portée du contre-interrogatoire de … l’auteur de l’affidavit » (au par 18). Le Tribunal était aussi d’avis qu’il serait « très onéreux pour le ministre de produire une réponse à cette demande d’engagement du fait de la nature de la demande » (au par 25).

[10]       Pourtant, le Tribunal n’a pas fermé la porte complètement à la possibilité que les documents s’avèrent pertinents :

Cette ordonnance n’empêche pas la demanderesse de mettre de l’avant ces arguments sur la juridiction du Tribunal à l’audience.  De même, s’il appert au réviseur à l’audience qu’il a besoin de plus d’information sur la question de juridiction, cette ordonnance n’empêche pas le réviseur d’exiger la production de renseignements, de documents ou d'autres pièces qu’il juge nécessaire pour pouvoir acquérir pleine connaissance de l'objet de la procédure de révision, tel que prévue à la Règle 15.1 (au par 26).

[11]       Voilà pourquoi la demanderesse dépose une requête sous l’égide de la Règle 15. Spécifiquement, la demanderesse cherche les documents suivants :

(a)  la documentation utilisée pour former les agents quant au Règlement sur les pénalités administratives en matière d’environnement et son application; et

(b)  la liste de violations aux articles 3, 11, 24, 31 et 32 du Règlement fédéral sur les halocarbures (2003), DORS/2003-289 et, pour chaque violation, la nature de la mesure d’application de la loi (avertissement écrit, sanction administrative pécuniaire ou autre) qui a été émis par le Ministre, et ce depuis le 2 juin 2017.

[12]       Le Tribunal a rendu sa décision concernant l’interrogatoire de l’agente d’application de la loi en décembre 2019. Pourquoi le Tribunal ne statue que maintenant – en avril 2021, presque 18 mois plus tard – sur la requête de production de documents?

[13]       Il s’avère que depuis décembre 2019, la demanderesse tente d’obtenir les documents visés par la requête actuelle par l’entremise d’une demande d’accès à l’information. Cette demande est toujours en voie de traitement. En attendant que cette demande porte fruit, la demanderesse a demandé à plusieurs reprises des délais dans le processus de révision des procès-verbaux, demandes auxquelles le Ministre a consenti à cinq reprises (ce qui n’était guère surprenant en vue de la crise sanitaire qui a frappé le Canada et le monde entier en 2020). Le Ministre s’est opposé à la sixième demande de prorogation. Les parties ont convenu à ce point que la demanderesse dépose la requête actuelle.

[14]       Il y a maintenant lieu de régler de façon définitive tout débat concernant la pertinence des documents visés par la requête de la demanderesse dans le cadre du processus de révision actuel.

Questions en litige

[15]       Est-ce qu’il y a lieu d’exiger du Ministre qu’il produise les documents concernant (a) la formation les agents d’application des lois environnementales et (b) les violations au Règlement fédéral sur les halocarbures (2003), DORS/2003-289 identifiées par le Ministre depuis le 2 juin 2017?

Discussion

Argument de la demanderesse

[16]       La demanderesse maintient que le Tribunal doit adopter une approche large et généreuse à ce stade préliminaire du processus de révision actuel.

[17]       Elle constate à cet égard que l’article 15.1 prévoit que le Tribunal peut exiger la production de documents « qu'il juge nécessaires pour pouvoir acquérir pleine connaissance de l'objet de la procédure de révision ». S’inspirant de la jurisprudence de la Cour fédérale, citant de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada concernant la nécessité d’apprécier le concept de pertinence de façon large au « phase exploratoire de l’instance » (Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 RCS 287, au par 30), et s’appuyant sur des observations des auteurs savants Léo Ducharme et Charles-Maxime Panaccio (L’Administration de la preuve, Wilson & Lafleur, Montréal, 2010), elle soutient que le Tribunal doit interpréter l’article 15.1 de façon large et généreuse afin d’acquérir la « pleine connaissance » nécessaire pour pouvoir trancher sur la demande de révision des procès-verbaux.

[18]       La demanderesse explique que sa théorie de la cause est que la sanction appropriée en l’espèce était un avertissement et non pas une sanction administrative pécuniaire. Selon elle, les documents visés par la requête actuelle démontreraient d’une part que l’agente d’application de la loi a erré dans l’exercice de sa discrétion parce qu’elle a mal appliqué Le Cadre stratégique relatif aux sanctions administratives pécuniaires d’ECCC pour la mise en oeuvre de la LPAME (le « Cadre stratégique ») et, d’autre part, que la décision de l’agente d’application de la loi de donner des procès-verbaux à l’égard de la demanderesse aurait miné la cohérence de l’application de la loi (cette dernière étant non seulement un aspect du Cadre stratégique mais aussi une exigence du droit administratif : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 aux pars 129-130). Bien que la jurisprudence antérieure du Tribunal veuille que le Tribunal n’ait pas la compétence de contrôler l’exercice de discrétion par une agente d’application de la loi, la demanderesse soutient que cette jurisprudence ne lie pas le Tribunal et qu’il y aurait peut-être lieu de l’écarter au stade de l’audience à la lumière de toute la preuve soumise.

Argument du ministre

[19]       Le Ministre soutient, essentiellement, que les dispositions législatives et réglementaires circonscrivant le rôle du Tribunal empêchent ce dernier de se pencher sur l’exercice de discrétion d’une agente d’application de la loi et que le non-respect par l’agente du Cadre stratégique ou un manque de cohérence dans l’application de la loi (si, évidemment, la demanderesse s’avère capable de démontrer un tel non-respect ou manque de cohérence) échappe ainsi à la compétence du Tribunal. Le Ministre soutient, en outre, que le Cadre stratégique n’étant que du « droit mou », une quelconque non-conformité avec le Cadre stratégique ne serait pas illégale de toute manière.

Analyse et constatations

[20]       Le Tribunal ne peut accepter l’argument de la demanderesse. D’abord, l’article 15.1 de l’Ébauche des règles de procédure du Tribunal fait référence au critère de nécessité et pas au critère de pertinence, ce qui rend inapplicables en l’espèce la jurisprudence et la doctrine citées par la demanderesse. De plus, les dispositions législatives et réglementaires circonscrivant la compétence du Tribunal excluent d’emblée toute question concernant l’exercice de pouvoir discrétionnaire des agents d’application de la loi.

L’article 15.1 : la nécessité plutôt que la pertinence

[21]       Commençons avec l’article 15.1 de l’Ébauche des règles de procédure du Tribunal (qui s’applique, malgré son titre, à tout processus de révision devant le Tribunal y compris le processus actuel) :

Le réviseur peut, tout au long de l'instance en révision, exiger qu'une partie ou toute autre personne fournisse des renseignements, des documents ou d'autres pièces qu'il juge nécessaires pour pouvoir acquérir pleine connaissance de l'objet de la procédure de révision

A Review Officer, at any time in the review, may require a Party or any other person to provide such information, documents, or other things as the Review Officer determines to be necessary in order to obtain a full and satisfactory understanding of the subject matter of the review.

[22]       Cette disposition reprend l’article 19(1) de la LPAME :

Le réviseur ou le comité peut citer toute personne à comparaître devant lui et ordonner à celle-ci de déposer oralement ou par écrit, ou de produire toute pièce qu’il juge nécessaire à la révision.

The review officer or panel conducting the review may summon any person to appear as a witness and may order the witness to

 

(a) give evidence orally or in writing; and

 

(b) produce any documents and things that the review officer or panel considers necessary for the purpose of the review.

[23]       D’entrée de jeu, le Tribunal constate qu’à la lumière du libellé de l’article 15.1, il n’y a pas lieu de s’inspirer, comme le veut la demanderesse, de la jurisprudence de la Cour fédérale.

[24]       Le mot clé dans l’article 15.1 est « nécessaire », un mot qu’on ne trouve pas dans les dispositions pertinentes des Règles des Cours fédérales. Les dispositions en matière d’examen et interrogatoire préalable devant les cours fédérales se trouvent aux paragraphes 222 à 233 des Règles des Cours fédérales. On n’y trouve nulle part le terme « nécessaire ». En revanche, le mot clé dans les dispositions pertinentes des Règles des Cours fédérales est « pertinent » : para 222(2); Khadr c. Canada, 2010 CF 564, au par 9.  Tandis que les Règles des Cours fédérales utilisent le mot « pertinent », l’article 15.1 utilise le mot « nécessaire ». En matière de production de documents (et en matière de procédure civile de manière générale), le terme « nécessaire » est plus restrictif que le terme « pertinent ».

[25]       Il n’y a pas lieu non plus de s’appuyer sur la jurisprudence de la Cour suprême du Canada en matière de procédure civile.

[26]       Regardons à cet égard l’article 3 de la LPAME :

La présente loi a pour objet d’établir, comme solution de rechange au régime pénal et comme complément aux autres mesures d’application des lois environnementales en vigueur, un régime juste et efficace de pénalités.

The purpose of this Act is to establish, as an alternative to the existing penal system and as a supplement to existing enforcement measures, a fair and efficient administrative monetary penalty system for the enforcement of the Environmental Acts.

[27]       Par l’entremise de la LPAME, le législateur a voulu créer une « solution de rechange au régime pénal », signalant ainsi sa volonté de mettre en vigueur un processus souple et léger d’application des lois environnementales. Comme le Tribunal expliquera plus en détail ci-dessous, la LPAME envisage un processus simplifié, avec une instance de révision de compétence limitée, dépourvu des complexités du processus pénal.

[28]       Appliquer aveuglément en l’espèce les enseignements de procédure civile, qui règlemente les processus judiciaires et non administratifs, risquerait de miner l’intention du législateur tel qu’énoncé dans la LPAME. Certes, la procédure civile n’est pas la procédure pénale, mais il reste qu’il s’agit d’un processus judiciaire qui cadre difficilement avec la volonté du Parlement d’instaurer une solution de rechange et de créer un processus simplifié.

[29]       Il faut donc que la demanderesse démontre que la production de documents est « nécessaire » afin d’acquérir une pleine connaissance de l’objet de la procédure de révision, ou autrement dit, le processus simplifié créé par la LPAME. La barre est plus haute que celle mise en place par les Règles des Cours fédérales et la jurisprudence de la Cour suprême.

Les dispositions législatives et réglementaires pertinentes

[30]       Il faut maintenant décrire le processus simplifié créé par la LPAME.

[31]       L’article 15 de la LPAME précise comment la compétence du Tribunal est invoquée :

L’auteur présumé de la violation peut, dans les trente jours suivant la signification d’un procès-verbal ou dans le délai supérieur que le réviseur-chef peut accorder, saisir le réviseur-chef d’une demande de révision du montant de la pénalité ou des faits quant à la violation présumée, ou des deux.

A person, ship or vessel that is served with a notice of violation may, within 30 days after the day on which the notice is served, or within any longer period that the Chief Review Officer allows, make a request to the Chief Review Officer for a review of the penalty or the facts of the alleged violation, or both.

[32]       Ensuite, le rôle du Tribunal est, essentiellement, de vérifier s’il y a eu violation telle qu’alléguée dans le procès-verbal dont le demandeur demande la révision (les « faits quant à la violation présumée ») et, le cas échéant, si la sanction administrative pécuniaire a été calculée correctement (le « montant de la pénalité »).

[33]       D’abord, le Tribunal vérifie si une violation aux lois environnementales a eu lieu.

[34]       Toute violation d’une loi environnementale désignée sous l’égide de la LPAME peut justifier l’imposition d’une sanction administrative pécuniaire, selon l’article 7 de la LPAME :

La contravention à une disposition, un ordre, une directive, une obligation ou une condition désignés en vertu de l’alinéa 5(1)a) constitue une violation pour laquelle l’auteur — personne, navire ou bâtiment — s’expose à une pénalité dont le montant est déterminé conformément aux règlements.

Every person, ship or vessel that contravenes or fails to comply with a provision, order, direction, obligation or condition designated by regulations made under paragraph 5(1)(a) commits a violation and is liable to an administrative monetary penalty of an amount to be determined in accordance with the regulations.

[35]       L’article 20 de la LPAME précise le rôle du Tribunal lors d’une demande de révision :

(1) Après avoir donné au demandeur et au ministre un préavis écrit ou oral suffisant de la tenue d’une audience et leur avoir accordé la possibilité de présenter oralement leurs observations, le réviseur ou le comité décide de la responsabilité du demandeur.

 

(2) Il appartient au ministre d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur a perpétré la violation.

 

(3) Le réviseur ou le comité modifie le montant de la pénalité s’il estime qu’il n’a pas été établi conformément aux règlements.

(1) After giving the person, ship or vessel that requested the review and the Minister reasonable notice orally or in writing of a hearing and allowing a reasonable opportunity in the circumstances for the person, ship or vessel and the Minister to make oral representations, the review officer or panel conducting the review shall determine whether the person, ship or vessel committed a violation.

 

(2) The Minister has the burden of establishing, on a balance of probabilities, that the person, ship or vessel committed the violation.

 

(3) If the review officer or panel determines that the penalty for the violation was not determined in accordance with the regulations, the review officer or panel shall correct the amount of the penalty.

[36]       À la lumière des articles 7 et 20 de la LPAME, il incombe au Tribunal d’établir les faits afin de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, si une violation a bel et bien eu lieu.

[37]       Pourtant, en établissant les faits, le rôle du Tribunal est circonscrit, parce que l’article 11 de la LPAME exclut de façon claire certains moyens de défense :

(1) L’auteur présumé de la violation — dans le cas d’un navire ou d’un bâtiment, son propriétaire, son exploitant, son capitaine ou son mécanicien en chef — ne peut invoquer en défense le fait qu’il a pris les mesures nécessaires pour empêcher la violation ou qu’il croyait raisonnablement et en toute honnêteté à l’existence de faits qui, avérés, l’exonéreraient.

(2) Les règles et principes de la common law qui font d’une circonstance une justification ou une excuse dans le cadre d’une poursuite pour infraction à une loi environnementale s’appliquent à l’égard d’une violation dans la mesure de leur compatibilité avec la présente loi.

 

(1) A person, ship or vessel named in a notice of violation does not have a defence by reason that the person or, in the case of a ship or vessel, its owner, operator, master or chief engineer

(a) exercised due diligence to prevent the violation; or

(b) reasonably and honestly believed in the existence of facts that, if true, would exonerate the person, ship or vessel.

(2) Every rule and principle of the common law that renders any circumstance a justification or excuse in relation to a charge for an offence under an Environmental Act applies in respect of a violation to the extent that it is not inconsistent with this Act.

[38]       Tel que révélé par plusieurs décisions du Tribunal, il s’ensuit que les bonnes intentions d’un demandeur ne sont tout simplement pas pertinentes aux fins d’une demande de révision : Sirois c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 6, au par 41; F. Legault c. Canada (Environnement et Changement climatique); R. Legault c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 1, au par 52. L’article 11 circonscrit de façon importante le rôle du Tribunal, excluant d’emblée une large catégorie de questions factuelles, simplifiant ainsi le processus de révision prévu par la LPAME.

[39]       La portée restreinte de la compétence du Tribunal cadre, d’ailleurs, avec l’objectif du législateur, tel qu’énoncé dans l’article 3 de la LPAME, soit d’instaurer une solution de rechange au régime pénal. On peut comprendre que la mise en œuvre d’un processus simplifié portant seulement sur l’existence de faits qui justifie ou non l’imposition d’une sanction administrative pécuniaire met en balance (i) l’intérêt public dans une mise en vigueur rigoureuse des lois environnementales et (ii) l’intérêt individuel dans un processus de révision impartial et indépendant des décisions des agents d’application desdites lois. Suivre, par contre, le processus pénal à cet égard risquerait d’entrainer des délais et coûts importants.

[40]       Pour ce qui est du calcul des pénalités, les dispositions pertinentes se trouvent dans le Règlement sur les pénalités administratives en matière d'environnement, DORS/2017-109 (le « RPAME »). L’article 4 crée une « formule » à cet égard :

(1) Le montant de la pénalité applicable à une violation de type A, B, ou C est calculé selon la formule suivante :

W + X + Y + Z

où :

W représente le montant de la pénalité de base prévu à l’article 5;

X le cas échéant, le montant pour antécédents prévu à l’article 6;

Y le cas échéant, le montant pour dommages environnementaux prévu à l’article 7;

Z le cas échéant, le montant pour avantage économique prévu à l’article 8.

 

(2) Le montant de la pénalité applicable à une violation de type D ou E est calculé selon la formule suivante :

W + X + Y

où :

W représente le montant de la pénalité de base prévu à l’article 5;

X le cas échéant, le montant pour antécédents prévu à l’article 6;

Y le cas échéant, le montant pour avantage économique prévu à l’article 8.1.

(1) The amount of the penalty for each Type A, B or C violation is to be determined by the formula

W + X + Y + Z

where

W is the baseline penalty amount determined under section 5;

X is the history of non-compliance amount, if any, as determined under section 6;

Y is the environmental harm amount, if any, as determined under section 7; and

Z is the economic gain amount, if any, as determined under section 8.

 

(2) The amount of the penalty for each Type D or E violation is to be determined by the formula

W + X + Y

where

W is the baseline penalty amount determined under section 5;

X is the history of non-compliance amount, if any, as determined under section 6; and

Y is the economic gain amount, if any, as determined under section 8.1.

[41]       Dans l’Annexe 1 au RPAME se trouvent une liste exhaustive de toutes dispositions législatives ou réglementaires dont la violation justifie l’imposition d’une sanction administrative pécuniaire sous l’égide de la LPAME. Chaque disposition est étiquetée A, B, C, D ou E.

[42]       Les montants W, X, Y et Z sont précisés dans les Annexes 4 et 5. À titre d’exemple, pour une personne physique, le montant de base (W) pour une violation de type C est de 1,000 $ (Annexe 4, Article 1, Colonne 3), tandis que dans le cas d’une autre personne, navire ou bâtiment, le montant pour antécédents pour une violation de type B est de 6,000 $ (Annexe 5, Article 2, Colonne 4).

[43]       Simplement dit, en matière de calcul de pénalité, tout est prévu par le RPAME. Le calcul de la sanction administrative pécuniaire étant mécanique, la compétence du Tribunal est, tout simplement, de vérifier si le montant des pénalités applicables a été calculé conformément à la formule de l’article 4 du RPAME. C’est seulement le calcul des pénalités que peut vérifier le Tribunal. Le Tribunal n’a aucune discrétion concernant la formule utilisée pour calculer des pénalités. 

[44]       Il s’ensuit que la discrétion des agents d’application de la loi d’imposer une sanction administrative pécuniaire ou non échappe à la compétence du Tribunal, une entité statutaire qui ne jouit pas de pouvoirs inhérents. La décision antérieure d’émettre la sanction administrative pécuniaire ne concerne ni la vérification de l’existence d’une violation ni la vérification du calcul de la pénalité ainsi imposée. Le Tribunal n’est pas un forum compétent pour contrôler l’exercice de discrétion des agents d’application de la loi.

[45]       Le fait que l’exercice de discrétion par des agents d’application de la loi échappe à la compétence du Tribunal cadre bien avec l’objectif énoncé dans l’article 3 de la LPAME, soit l’instauration d’une solution de rechange au régime pénal. Exclure toute question concernant la formule utilisée pour calculer les pénalités simplifie le processus de révision devant le Tribunal.

[46]       Rappelons que l’article 15.1 de l’Ébauche des règles de procédure du Tribunal fait référence à « l'objet de la procédure de révision ». À la lumière des dispositions législatives et réglementaires pertinentes, l’objet de la procédure de révision est de vérifier si une violation a eu lieu tel qu’alléguée dans le procès-verbal visé par la demande de révision, et, le cas échéant, que la sanction administrative monétaire ainsi applicable a été calculée correctement. L’exercice du pouvoir discrétionnaire d’émettre ou non un procès-verbal n’étant pas l’objet de la procédure de révision, les documents relatifs à l’exercice de discrétion par un agent d’application de la loi ne sont pas « nécessaires pour pouvoir acquérir pleine connaissance de l'objet de la procédure de révision » comme le veut l’article 15.1 de l’Ébauche des règles de procédure du Tribunal.

La jurisprudence du Tribunal

[47]       La jurisprudence du Tribunal confirme cette lecture des dispositions législatives et réglementaires pertinentes.

[48]       Dans Hoang c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2019 TPEC 2, le demandeur ne contestait pas qu’une violation a eu lieu, mais soutenait que l’imposition d’une sanction administrative pécuniaire était injuste et que la sanction appropriée en l’espèce était un avertissement. Après avoir cité les dispositions législatives et réglementaires pertinentes, le réviseur-chef a constaté que le contrôle du pouvoir discrétionnaire d’un agent d’application de la loi de donner un procès-verbal ne fait pas partie de la compétence du Tribunal :

La LPAME ne confère pas aux réviseurs le pouvoir de déterminer si les agents d’application de la loi ont exercé leur pouvoir discrétionnaire de façon appropriée ou raisonnable. Les réviseurs examinent les « faits quant à la violation alléguée » et le montant de la pénalité en vertu des articles 15 et 20 de la LPAME. Ils n’examinent pas l’exercice par les agents d’application de la loi de leur pouvoir discrétionnaire d’imposer des SAPs … Par conséquent, bien que le réviseur-chef comprenne les préoccupations du demandeur en l’espèce, la LPAME n’offre pas de recours lorsque le motif de la révision est l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’application de la loi plutôt que les faits de la violation alléguée … Il ne revient pas au réviseur d’examiner la possibilité d’annuler la SAP une fois que les éléments de la violation ont été démontrés (aux pars 21-22).

[49]       La décision dans F. Legault c. Canada (Environnement et Changement climatique); R. Legault c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 1 abonde dans le même sens. En l’espèce, les demandeurs ont plaidé qu’ils étaient piégés par les agents d’application de la loi. Pourtant, le Tribunal ne pouvait pas intervenir à cet égard :

…la décision des agents de donner des procès-verbaux est à l’abri de surveillance par ce Tribunal. Comme ce dernier a constaté maintenant à plusieurs reprises, son rôle est tout simplement de vérifier si l’infraction alléguée dans le procès-verbal a été commise et si, le cas échéant, le montant de la pénalité ainsi imposée est exact. Rien de plus et certainement pas le contrôle du pouvoir discrétionnaire des agents du Ministre (au par 54).

[50]       Voir aussi Fontaine c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 5, au par 28 (« il est maintenant bien établi par la jurisprudence du Tribunal que le rôle de ce dernier est (1) de déterminer si l’infraction alléguée par le procès-verbal a bel et bien eu lieu et (2) de déterminer si le montant de la sanction administrative pécuniaire a, le cas échéant, été calculé conformément au [RPAME] »); Sirois c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 6, au par 38; (« Le rôle du Tribunal est circonscrit par la [LPAME]. Il s’agit essentiellement de vérifier si la violation telle qu’alléguée dans le procès-verbal a bel et bien été commise par le demandeur et que la pénalité, le cas échéant, a été calculée correctement »); Nyobe c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 7, au par 21 (« Le rôle du Tribunal est de vérifier si la violation telle qu’alléguée dans le procès-verbal a été commise par le demandeur et que la pénalité, le cas échéant, a été calculée correctement »).

[51]       Techniquement, comme la demanderesse le plaide, le Tribunal n’est pas lié par ses propres décisions. Pourtant, il faut néanmoins favoriser le développement d’une culture décisionnelle harmonisée au sein du Tribunal et suivre ainsi la jurisprudence antérieure du Tribunal à moins qu’il y ait de bonnes raisons de l’écarter (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, au par 131). Comme la jurisprudence est appuyée par les dispositions législatives et réglementaires concernant la compétence du Tribunal, il n’y a pas lieu de l’écarter en l’espèce, ce qui est aussi vrai à ce stade préliminaire qu’il le serait au stade de l’audience principale.

Résumé

[52]       Les dispositions législatives et réglementaires régissant la compétence du Tribunal sont limpides et la jurisprudence du Tribunal est également claire : le Tribunal n’a pas le pouvoir de contrôler l’exercice de discrétion des agents d’application de la loi.

[53]       Il s’ensuit que la théorie de la cause avancée par la demanderesse, sur laquelle repose la requête actuelle, est vouée à l’échec. Le Tribunal n’est pas le forum compétent pour statuer, ni sur une quelconque incohérence dans l’application de la réglementation sur les halocarbures par l’agente d’application de la loi, ni sur une mauvaise interprétation du Cadre stratégique du Ministre par ladite agente. Si la théorie tombe, la requête actuelle tombe également.

[54]       La conclusion du Tribunal est que les documents recherchés par la demanderesse ne sont pas nécessaires afin que le Tribunal acquière une pleine connaissance de l’objet de la demande de révision comme le veut l’article 15.1 de l’Ébauche des règles de procédure du Tribunal.

Décision

[55]       Le Tribunal rejette donc la requête de la demanderesse. 

Requête rejetée

Directives procédurales données

 

« Paul Daly »

PAUL DALY

RÉVISEUR

 

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